mardi 2 avril 2013

Journal d'Héloïse (Janvier-mars 2013)

Journal du dehors


Jeudi 17 janvier
Même en stage, la routine s’installe. Je ne suis plus une étrangère. J’ai mon entrée en salle des profs. Refuge poreux où ça ne parle que de cours, d’enfants, de réforme. Un policier est là pour apprendre la sécurité routière aux enfants. Comment peut-il à ce point se conformer aux stéréotypes du policier ? Est-on destiné à devenir un uniforme ?

Lundi 21 janvier
Reprise des cours. Commencer à 14h est quand même bien sympathique. J’ai repris un cours de la licence LLCE anglais pour avoir un cours en anglais. J’aime cette idée de choix et de mélange. On devrait faire des licences à la carte. Intéressant de voir comment l’ambiance des amphis change d’une licence à l’autre : droit, anglais, lettres. Est-ce que ce sont les étudiants qui font la licence ou la licence qui forge les étudiants ?

Mardi 22 janvier
Déjà un professeur absent. Absence qui est appelée à durer. Qui n’a pas éprouvé la joie coupable de bénir l’imprévu qui empêche un professeur de donner son cours, peu importe la gravité de cet imprévu ? L’étudiant est un opportuniste sans cœur.

Mercredi 23 janvier
L’étudiante que je suis est aussi une procrastinatrice honteuse. Etre capable de préférer l’ennui au travail. Dans une société où chaque instant doit être rentabilisé, même ceux de loisir, j’ai l’impression de mener ma petite révolution du rien. Mais comme je suis à la fac, il paraît que je suis les conventions. Même le vide est conventionnel.

Vendredi 25 janvier
Retour à l’école pour le stage. J’ai mes petites habitudes, mes repères : un avant-goût de mon avenir ? La maîtresse m’a proposé de les accompagner en classe de découverte. Je suis évidemment enthousiaste mais malheureusement ça tombe la dernière semaine de cours. J’ai comme l’impression que le secrétariat ne partagera pas mon enthousiasme.

Samedi 26 janvier
L’étudiant travaille le week-end, je vous assure. Certes c’était pour aller voir une exposition sur Paris mais tout de même : en rapport avec un cours et fortement recommandé par le professeur. Malheureusement plus de train ce jour-là. Evidemment. La RATP tuera la culture.


Dimanche 27 janvier
Premier anniversaire des vingt ans parmi mes amis hier. Ça y est : la machine est enclenchée. Tic-tac tic-tac… Aux 18 ans, on quitte l’âge adolescent, aux 20 ans on entre dans l’âge adulte. Pas la même ambiance.

Mardi 29 janvier
La mécanique de l’emploi du temps s’est enrayée : un professeur absent et tout est chamboulé. Arrivée une heure en retard en cours. Je n’ai évidemment rien compris au cours mais prétendre maîtriser les déictiques, cataphoriques et anaphoriques est de l’utopie.

Mercredi 30 janvier
La guerre au Mali semble se dérouler dans une autre dimension. J’ai l’impression qu’après les deux guerres mondiales, aucune autre n’aura la même importance pour notre douce France. Tant que ce n’est pas chez nous, ça ne nous touche pas de la même manière. Alors en tant qu’étudiant, on fait quoi ? On continue à lire nos petits livres en attendant que ça passe ?

Jeudi 31 janvier
En prenant le bus ce soir une dame m’a demandé le chemin de la gare près de chez moi. Je lui ai proposé de m’accompagner jusque là- bas et en marchant elle m’a expliqué qu’elle venait de Cergy et qu’elle ne connaissait pas cet endroit. Elle a ajouté qu’elle aimerait bien habiter ici plutôt qu’à Cergy. La différence la choquait : les bâtiments, les gens, l’ambiance. Elle faisait la même découverte que moi un an auparavant quand je suis arrivée à Cergy pour la première fois. Nous étions deux étrangères l’une chez l’autre.

Vendredi 1er février
Dernier jour de stage à l’école. Stage d’observation pour observer son futur. Est-ce que trente heures suffisent pour faire un choix ? L’année prochaine, je parierai sur de l’incertain comme d’habitude. Mais c’est le principe du pari.

Samedi 2 février
Ne plus avoir envie de lire chez soi. Comme une impression de ramener du travail à la maison. Alors que cette filière est un choix. Jamais contente.

Dimanche 3 février
Réveil difficile de nuit bariolée. Portefeuille volé dans un bar. Nuit blanche pour oublier mais réalité du jour : commissariat, plainte, opposition. Pourquoi la vie d’adulte s’apprend-elle dans les moments difficiles ?

Lundi 4 février
L’échéance approche. La procrastination a ses limites que le temps ignore. Je crois que je vais aussi porter plainte contre le temps qui passe.

Mercredi 6 février
Encore une usine qui ferme. Des cris, des larmes. Un mort pour des centaines de blessés. La guerre de l’emploi. Avec nos diplômes, on se dit que tout ira bien. Il ne faut pas trop rêver. Les lettres ont peut-être changé le monde mais elles n’ont pas amené d’emploi.

Jeudi 7 février
Un Coran dans le train. Il se ballade de Cergy à Marly. Mais quelque chose cloche : c’est une blonde à lunettes qui le lit. Une voix basse qui veut être entendue : « Faut pas porter le voile pour lire le Coran ? ». Faut pas avoir peur des préjugés en tout cas.

Vendredi 8 février
A la petite bibliothèque de ma ville, ils avaient tous les livres que je voulais. J’aime être dans les bibliothèques, entourée de livres, à tous et pour tous. Les pages racontent des histoires mais derrière chaque page il y a aussi des centaines d’histoires de personnes qui ont tourné ces mêmes pages.

Samedi 9 février
Une page Spotted de mon ancien lycée a été créée. Le principe ? Des élèves envoient anonymement des poèmes ou textes qui se veulent originaux sur d’autres élèves, en espérant bien sûr être découverts. Symbole d’une génération qui veut mettre l’intime, le honteux au grand jour. Ils sont pleins de bonne volonté mal orthographiée. J’ai évidemment tout lu avec délice.

Dimanche 10 février
Un pas en avant, deux pas en arrière. Un coup d’œil sur l’écran des horaires : il est 11h11 et 37 secondes. Le train est prévu pour 11h11. Elle regarde autour d’elle : qui sera sa proie, l’oreille conciliante qui se fera agresser par ses jérémiades ? Il faut que le monde entier partage son énervement et soit bien évidemment d’accord avec elle. Elle fait un pas vers moi, j’en fais un en arrière et je baisse la tête. Elle hésite, lance à une dame à côté de moi : « Vous vous rendez compte ? C’est impensable ! ». L’autre acquiesce. La voilà condamnée.

Lundi 11 février
Le pape va démissionner. En raison de son grand âge. Sa lettre de démission doit être gratinée : « En raison de l’état actuel du monde, avec le mariage pour tous, l’islamisme, la faim dans le monde, la crise économique, il m’apparaît que mon âge avancé ne me permet plus de comprendre et apporter des réponses à ces enjeux contemporains ». C’est sûr, nous n’avons pas les mêmes valeurs.



Mardi 12 février
Mais les lettres de candidatures doivent être encore plus croustillantes : « Objet : candidature spontanée au poste de Pape – Je souhaiterais réellement être pape et m’investir dans cette Eglise, que je connais bien pour avoir travaillé sur le terrain depuis mon entrée au séminaire en 1954 ». Etudiant, pape : même combat quand il s‘agit de l’emploi. Âge minimum requis : 70 ans.

Jeudi 14 février
Ah ! Doux jour de la Saint-Valentin. Petite déclaration d’amour à ma fac : j’aime tes grands bâtiments froids ou surchauffés, ta cafet’ trop chère et ton resto U bondé, tes distributeurs sans bouteille d’eau, tes machines à café au résultat incertain, tes amphis aux tables trop petites et aux sièges trop loin. Bref je t’aime comme tu es, avec tes défauts et tes erreurs, juste parce que chaque jour je suis contente de te retrouver.

Vendredi 15 février
Acceptée pour un semestre à Londres, en Erasmus. Un semestre ailleurs, autrement, attirant et effrayant. Va-t-on en Erasmus pour fuir ou pour trouver ?

Samedi 16 février
J’avais rendez-vous avec Hitchcock aujourd’hui. Beaucoup d’espoirs, déçus. Des bons acteurs qui n’ont pas réussi à lui rendre hommage. J’aurais mieux fait de garder mes 7,50 euros et de revoir les films où il était derrière la caméra.

Dimanche 17 février
Librivore, je lis trois livres en même temps. Je frôle l’indigestion mais même lorsque ce n’est pas à mon goût, je m’empiffre jusqu’à satiété. Pourtant l’ordi a de sacrés plats et j’ai l’impression d’hésiter entre deux menus. La télé est née avec une cuillère d’argent dans la bouche.

Lundi 18 février
Venir pour une heure de cours. Et trois heures de transport. J’ai l’impression de marcher dans mes empreintes dans les couloirs de la gare. De suivre mon petit rail intérieur. Zombie parmi les zombies. Qu’est-ce qui me différencie de cette étudiante qui fonce tête baissée, la main prête à dégainer son Pass Navigo ? Peu de choses dans ces couloirs sombres. La nuit, tous les chats sont gris.

Mardi 19 février
Accent chantant aujourd’hui dans le RER. Deux non-francophones qui parlent en français et du Français. Elles font des réflexions sur l’emploi en France. Comme si l’emploi était ce qui nous caractérisait. Elles sont en stage et espèrent se faire embaucher rapidement. Il faut apparemment mieux enchaîner les CDI que de commencer avec un CDD dont on ne pourra plus se sortir. Langue universelle : le travail et l’argent.

Mercredi 20 février
Prise d’une frénésie laborieuse, j’ai commencé à revoir tout un cours en le complétant, le retravaillant. J’ai failli prendre un cachet pour être sûre que le virus ne se propage pas.

Jeudi 21 février
Toujours l même professeur absent. On ne sait toujours pas à quoi il ressemble. Absent depuis le début du semestre. Pour un étudiant, on dirait « défaillant ». J’espère qu’elle a un bon justificatif parce que pour nous ça ne rigole pas. Une absence injustifiée et c’est le drame, la disgrâce. Où est passée la fac libre et libératrice ?

Vendredi 22 février
Le secrétariat a évidemment refusé que je manque une semaine de cours pour accompagner la classe de découverte. Mes arguments que je trouvais évidemment convaincants n’ont pas fait mouche. A quoi sert de faire un stage d’observation si on ne peut pas mettre en pratique ce qu’on a observé ? Logique implacable de l’administration.

Samedi 23 février
J’ai revu une ancienne amie de primaire. Elle travaille à Sephora. Je l’ai observée sans qu’elle me voie. C’était toujours la même : jolie, spontanée, souriante. M’est revenue en tête la raison pour laquelle je m’étais disputée avec elle en CM2 : elle m’avait appelée « intello », je l’avais traitée de « Barbie » (insulte suprême). Dix ans plus tard, toujours à la même place. Deux wagons qui ne déraillent pas.

Lundi 25 février
Ai voulu refaire faire ma carte. En haut de la tour, je me suis retrouvée face à un petit mot scotché sur la porte : « Le bureau de la LMDE sera ‘’exceptionnellement fermée’’ les lundi 25 et mardi 26 février ». Je me suis arrêtée net dans mon envie de râler. Les fautes d’orthographe ont remplacé dans mon esprit mes plaintes. J’ai battu en retraite, ne retenant même pas les horaires d’ouverture.

Mardi 26 février
Ligne 10, Saint-Germain -> Marly : blonde, mèche devant les yeux savamment maquillés, lunettes Ray Ban, doudoune à fourrure, sac Vanessa Bruno, IPhone, Converse. Elle est au collège mais tous les attributs sont là. Elle rentre dans la norme alors elle peut regarder les « autres » avec mépris. Le cauchemar friqué au grand jour.

Mercredi 27 février
Le scandale de la viande de cheval secoue la France, l’Europe toute entière ! Nous avons été empoisonnés ! Mais pourquoi parler au passé ? S’il fallait retirer des grandes distributions tout ce qui était mauvais pour nous. Quoique le cheval ne soit pas le plus nocif, entre nous…

Jeudi 28 février
Dernier jours de cours avant les vacances. Première apparition du professeur fantôme de ce semestre. Mieux vaut tard que jamais. Heureusement son justificatif est plutôt bon. Ou alors il a un médecin très imaginatif.

Vendredi 1er mars
Faire le point sur ses lectures et réaliser que le résumé d’internet est la seule option envisageable. Ou alors il y aura des sacrifiés au combat. Pour la grande cause de l’examen.

Samedi 2 mars
Concert : les oreilles qui saignent, les yeux qui piquent des fumées plus ou moins licites, les jambes sciées à force de sauter sur place et de résister aux mouvements de foule. La fosse aux lions. J’ai adoré.

Héloïse Rogel