1- Comment en vient-on à imaginer
un atelier d'écriture pour des caissières de supermarché ?
Michèle :
J'ai ce défaut ou cette qualité de
toujours, où que j'aille, où que je passe, imaginer ce que peuvent ressentir
les personnes, en particulier lorsqu'il m'apparait que les choses ne vont pas
de soi.
J'appelle cela mon "empathie
chronique".
Les caissières de supermarchés,
certainement parce que je les croise presque tous les jours, m'ont toujours
attendrie.
Ces femmes (c'est un métier presque
exclusivement féminin) qui, malgré l'appellation "hôtesse de caisse" qui voudrait redorer leur
image mais qu'aucun client n'utilise, font un travail ingrat, usant et jamais
rémunéré à la hauteur de sa pénibilité.
Elles sont rivées à leur siège,
condamnées à manutentionner des quantités invraisemblables d'articles, à voir
défiler des centaines de clients plus ou moins aimables, à subir des horaires
compliqués, des interdictions de
boire et de bouger ... à devoir coûte que coûte, rendre la monnaie, sourire,
répéter, répéter, répéter ...
De quel bois sont-elles faites pour
rester polies, droites et souriantes ? Qui sont-elles ? De quoi rêvent-elles ?
Pour qui votent-elles ?
Voici maintenant l'anecdote qui est à
l'origine de cette idée d'atelier d'écriture pour caissières de supermarché en
milieu rural :
Lorsque je retourne dans ma province
natale, je croise souvent un ancien professeur d'histoire. Là-bas, c'est sur le
parking et dans les rayons de l'Intermarché que les gens discutent. Max est
heureux de me voir et de pouvoir échanger avec moi sur la vie locale, sur des
questions sociétales, sur la politique.
Un jour, il m'a confié son désarroi. Les
caissières qui le connaissent bien et l'apprécient, l'ont pris un jour à partie : "Alors, monsieur A, vous
aussi, n'est-ce pas, vous allez voter Marine Le Pen ? Enfin quelqu'un qui nous défend, une femme, en plus".
Le FN, nouveau parti des travailleuses !
Loin de moi l'idée d'un atelier
d'écriture CGT ou thérapeutique mais ... écrire, créer, mettre de soi, échanger
est peut-être une petite porte qui permet de libérer quelques frustrations,
quelques difficultés, d'oxygéner les rêves, les espoirs et ne pas tout
cristalliser sur un bulletin de vote.
Autre chose : l'atelier d'écriture que
j'ai mené l'année dernière en EHPAD pour les résidents et auquel se sont
ralliées spontanément des aides-soignantes m'a confortée dans le bénéfice des
ateliers en milieu rural. J'ai constaté leur enthousiasme et le plaisir évident
qu'elles avaient à prendre le stylo ... en toute confiance.
Catherine :
Je propose à Michèle de faire équipe avec
elle et aussitôt, elle me parle de son idée d'atelier pour caissières de
supermarché. Une bulle s'ouvre au dessus de ma tête :
Michèle en tee-shirt de supère héroïne
faisant germer et récoltant les mots de ces femmes (et quelquefois hommes) qui
remplissent et prolongent de leurs corps les caisses enregistreuses des supers
marchés avec lesquels ils ne font qu'un, où nous réglons nos courses faites le
plus souvent au pas de course.
Comment font-elles pour être presque
toujours aimables et gentilles, tout en répétant les mêmes mots et les mêmes
gestes à longueur de temps dans un environnement de bruits et mouvements
incessants.
Je lui réponds légèrement perplexe
« quelle bonne idée » en me disant que je vais par l'écriture me
projeter dans un territoire inconnu d'où il me semblerait plus facile de s'évader
que de vouloir y rester. Je songe à ces jeunes filles sans diplômes à qui leur
famille jette en anathème qu'elles vont finir « caissières au super
marché », la malédiction suprême. Oui décidément quelle bonne idée.
Inattendue, remuante. Caissière en milieu rural me précise Michèle. Chez ma
mère, dans la campagne normande, bien sûr que ça vote FN, ou plutôt, Marine,
comme une copine. Dans quel espoir, je ne sais pas. Alors, voyons si je
parviens à me projeter au milieu d'elles, par la magie de l'écriture virtuelle
commune échangée.
Mais bientôt, le challenge dans toute sa
réalité me tape par derrière sur l'épaule. C'est que, relativement au super
marché, mentor de la consommation, mon œil a tendance à voir rouge et
l'instauration d'un atelier en un tel lieu, le supermarché, je le répète, va
forcément nécessiter de pactiser et louer son âme au diable, tel Lydie Salvayre
dans son portrait de l'écrivain en animal domestique.
Je m'efforce de garder mon calme. Je suis
de la plèbe, je fraternise, et mon slogan, l'écriture
pour tous, doit-être porté en avant, carcasse tremblante ou pas, nécessaire
compromission auprès de la direction ou non.
2. Association de malfaiteuses en supermarchés : jusqu'où aller
?
Faire écrire les caissières, leur enlever
la douchette des mains, les mettre autour d'une table et plus dos à dos,
utiliser et détourner les mots de la distribution, les tickets de caisse, la
relation client pour les emmener ailleurs, les faire renouer avec l'écrit, avec
elles-mêmes et un imaginaire souvent étouffé sous le quotidien. Quel programme
!
Nous nous prenons soudain à rêver de
faire écrire toutes les caissières de France et de Navarre. Nous imaginons un
atelier d'écriture pour caissières que nous pourrions proposer à une enseigne
de magasins sur toute la France, à tous les Auchan, à tous les Intermarché ou
restreindre notre champ d'intervention à une région, à un département ou encore
à un groupement de communes, pour tous les supermarchés toutes enseignes
confondues.
Mais comme nous sommes deux femmes avec
la tête sur les épaules (heu fait Catherine) (mais si, mais si, rétorque
Michèle !), nous savons bien que la réussite d'un projet dépend avant tout de
sa faisabilité.
Nous décidons donc de commencer petit.
Animatrices bénévoles, salariées par ailleurs et étudiantes de surcroit, avant
de nous métamorphoser en trust international de l'écriture managériale de la
grande distribution « M&C Cie de la Caisse aux Mots » d'intervenir
sur un seul magasin.
Et pourquoi pas celui en Picardie ?
3. Quel sera notre public, qui sont ces femmes ?
Les caissières de la commune n'ont, pour
la plupart, jamais quitté leur région, voir leur village natal. Elles ont entre
25 et 50 ans. Les plus âgées ont été recrutées sans diplôme, les plus jeunes
sont titulaires d'un CAP commerce multi spécialités ou bac pro commerce
dispensés par un lycée professionnel situé à 10 km.
Dans cette commune de la Somme, le taux
de chômage dépassait 20% en 2012 (sources Insee) et les perspectives d'emploi
pour les femmes se limitent aux emplois d'usine et aux emplois familiaux (aide
à la personne et assistantes maternelles).
Les salaires ne dépassent guère le SMIC.
Leur vie est centrée sur la famille. Leur
commune est "quasi morte", les difficultés économiques replient les
habitants sur eux-mêmes et les loisirs sont rares : pas de piscine, un cinéma
fermé depuis trente ans, le plus proche se situant à 20 km, une salle des fêtes
avec quelques spectacles, une médiathèque inaugurée en 2011 mais presque
uniquement fréquentée par les écoles et le collège.
Toutes savent lire et écrire, elles ont
gardé un rapport à l'écrit très imprégné du scolaire, du bien faire et du mal
faire. La crainte exprimée de faire des "fautes d'orthographe" tombe
pourtant très vite (on a l'impression qu'elles ne demandent que cela)
lorsqu'elles sont mises en confiance. Si le complexe de l'orthographe tombe, le
reste suit, l'écrit cherche moins à se conformer à une norme et la
"parole" écrite peut se libérer.
Leur rapport à la langue est donc à
prendre en compte. Il faut préciser qu'un atelier d'écriture en région
parisienne avec des caissières souvent d'origine étrangère, qui, pour
certaines, maitrisent difficilement la langue orale et peut-être à peine
l'écrit, serait totalement différent, il faudrait cerner le profil du groupe et
définir d'autres objectifs pour l'atelier.
Il n'y a pas un profil
"caissières" unique. D'ailleurs, ceci est valable pour tous les
ateliers d'écritures. Il y a toujours des spécificités locales et inhérentes à
tel ou tel groupe sans compter les personnalités.
4. Le dispositif que nous proposons
:
a/A
quel endroit :
Dans la joie et la bonne humeur, nous
projetons d'installer l'atelier au cœur de l'Intermarché, sur des tables de
jardin du rayon jardinerie, nous imaginons planter les crayons dans le rayon
"Planta fin", tremper les plumes dans les meilleurs crus des Vins et
spiritueux sous la bénédiction d'un gérant qui, non seulement, aurait prêté les
locaux mais aurait profité de l'opportunité pour offrir à ses employées un
moment de convivialité avec quelques gourmandises à la clé mais ... halte-là,
principe de réalité oblige.
Il s’ensuit pour nous une intense réflexion
sur l'argumentaire à déployer auprès de la direction, pour solliciter
l'autorisation d'un atelier d'écriture à l' intérieur du magasin et sur les horaires de
travail.
Première approche par courrier à adresser
au chef de projet régional de l’enseigne :
Projet de courrier :
Madame, Monsieur,
Nous sommes une jeune
équipe de rédacteurs et écrivains, diplômés des métiers de l'écriture de
l'université de Cergy-Pontoise (Val d'Oise).
Dans le cadre de notre
spécialité « ateliers d'écritures », nous avons mis au point un panel
de propositions destinées à être expérimentées sur site, directement en milieu
professionnel privé. A l'heure où les chefs d'entreprises intègrent de plus en
plus le bien-être de leur personnel dans leurs approches managériales comme
facteur de réussite du groupe, il nous a semblé que notre proposition
spécifique « atelier d'écriture pour caissières de supermarchés en milieu
rural », pourrait être à même de vous intéresser, concernant votre magasin
de xxxxx, bien connu de l'une de nos animatrice, Madame M.C.V.
En effet, conjointement
à la montée en puissance de l'utilisation des réseaux sociaux, l'écriture comme
expression de soi et « lâché prise », mais également comme facteur
d'ouverture au monde en général et par suite à celui du travail en particulier,
connaît à l'heure actuelle une popularisation et un engouement irrépressible.
Sans vouloir nous faire le porte-parole d'une vision pessimiste d'un monde
surpeuplé croulant sous le poids des difficultés, il faut bien reconnaître, en
brossant un portrait en grande largeur pour ne pas abuser de votre temps, que
le système économique mondial, caracolant comme un cheval sauvage plus ou moins
maîtrisé par nos nouveaux Bellérophon, se heurte de plein fouet à un
déploiement de violences de toutes natures qui nous laisse, nous, individus,
vous, chaque membre de votre personnel, sans voix, avec, à l'intérieur, quelque
chose qui monte comme un futur cri.
L'écriture, la plus
humble fut-elle, en est le récepteur et l’équaliseur. Il est de notre intérêt,
à tous, humains, d'en favoriser la percée en l'intégrant à nos fonctionnements.
A court terme, la pratique de l'écriture est un outil moderne et innovant
destiné à faciliter un quotidien ouvert et communiquant. Au niveau de
l'entreprise, un marketing efficace commence par une mise en œuvre de
conditions d’exercice de la profession véritablement harmonieuses au sein du
personnel et en particulier du personnel en contact constant et quotidien avec
la clientèle. Avant de donner une nouvelle dimension à sa communication au
travers de packs storytelling
alléchants, il peut s’avérer efficace d’optimiser l'ambiance interne pour
surprendre la clientèle, et d'abord, en finir avec l'hôtesse de caisse machine. C'est pourquoi nous nous
tournons vers vous pour vous faire la proposition suivante :
Animation au sein de vos
équipes, en commençant par les hôtesses de caisse, de dix ateliers d'écriture
de une heure un quart chacun, toutes les semaines durant deux mois et demi.
Les ateliers de
difficultés croissantes, ont une valeur apaisante, décontractante et auto
formatrice sans effort. Chacun en effet peut mesurer l'impact positif sur soi,
de parvenir à un résultat dans un domaine qui lui est à priori complètement
étranger.
Déroulement : une
table ronde est installée à l'intérieur du magasin à un endroit stratégique
pour ne pas gêner la clientèle, et reçoit un groupe constitué des hôtesses de
caisse en pause.
Ou bien, les ateliers se
tiennent en dehors des heures d'ouverture, par exemple le lundi de onze heures
à midi un quart. La direction offrant une collation à l'issue de l'atelier
avant l'ouverture et prise de travail à treize heures.
---
A ce point de notre réflexion, je
contacte une amie directrice de communication chez 3 M, qui me contre de la
manière la plus ferme. Au grand jamais, me dit-elle, vous ne parviendrez à
convaincre un chef de projet de la Grande Distribution, de l'intérêt
marketing de votre projet d'atelier, à court ou à moyen terme. Il faudrait que
le susdit eût un volet formateur mais au niveau des hôtesses de caisse, je ne
vois pas lequel, ajoute-t-elle. Nous devons revoir notre copie.
Heureusement, Michèle a plus d'un tour
dans son sac, dont elle extrait aussitôt un fabuleux joker :
Une ancienne ferme en centre ville
entièrement rénovée et transformée en médiathèque (avec l'argent du
contribuable sceptique), au bénéfice de la Culture ! Et de surcroît le
maire est un ami. Le contacter, lui faire part du projet, lui faire valoir
l’opportunité d’une telle action, favorisant la promotion de la médiathèque
(insuffisamment fréquentée), auprès de ses habitants. Le maire, enchanté,
proposera certainement aux nouvelles Perrette que nous sommes, d'offrir
le goûter aux participants. C'est la fête ! Il ne reste plus qu'à
convaincre quelques caissières, qui parviendront ultérieurement à grossir les
rangs, face au succès évident du premier atelier ! Et à déterminer
ensemble le jour et l'heure d'une telle entreprise … hors cocon et
obligations familiales ? Qu’à cela ne tienne !
Retour à la case réflexion : comment
va-t-on procéder pour les convaincre de dériver des habitudes ancrées et venir
écrire ? Trouver le déclic. Un seul oui déclencheur de deux autres. Sortir
de sa passivité plus ou moins contestatrice, grognonne cachée, en venant
exprimer son insatisfaction satisfaite par un biais nouveau, convivial. Entamer
sa gym des méninges à base de ludique. Un étrange et nouveau bon moment entre
travailleuses solidaires.
b/
Quand ? Jour et horaire :
Une fois par semaine le lundi matin à la
médiathèque de 10h à 11h30, thé, café, viennoiseries offerts par Dany le Maire.
c/
Combien de personnes ?
Faire un sondage préliminaire. Obtenir un
minimum de trois personnes au premier atelier, en espérant que le nombre de
participants passe ensuite à cinq, et de fil en aiguille parvienne à dix.
d/
Durée et fréquence à définir
Une heure trente (voir décompte des
différentes phases ci-après).
Dix séances sur dix
semaines.
e/
Quelques suggestions de noms
auxquels nous avons pensé pour cet atelier :
De la
douchette au crayon
La
quinzaine créative des caissières
Les six
jours des caissières créatives
Rayon
crayons
Promotion
création pour hôtesses de caisse
Nos
caisses en création
A cause
de l’écriture
Bon salut
j’vais écrire
Pause
crayons
Confiture
d’écriture
Paniers
d’écrits
A vos
marques écrivons
f/
Historique :
On suppose que l’atelier est constitué de
dix séances et que la proposition du jour détaillée ci-après correspond à la
cinquième séance. Les caissières sont déjà rodées.
Elles se sont par exemples précédemment
attaqué aux propositions suivantes :
· Rayon
alcool : "Après mon troisième verre de Vodka ...
· Rayon
fromages: "Nouveaux fromages "
en mots-valises ex : le Gruyochon, le Camenthal, le Reblomolette ... puis
enchainer en inventant son histoire, sa région ...
· Rayon
fruits et légumes : "Annonces
matrimoniales" Petite pomme paumée recherche ...ou Poire bien mûre ...
ou Banane au régime ...
· Rayon
surgelés : Petit Cluedo sanguinaire et mini polar aux surgelés viande :"
Le colonel bœuf a tué dans la véranda le docteur foie de veau avec une
tronçonneuse ». Recette de cuisine et mode d’utilisation défouloir « Madame
Quiche, serial killeuse de son état, a été cuisinée par la police pendant
24h …. »
· Le
ticket de caisse : "Dresser la liste
de tout ce qui nous est cher dans la vie et l'établir sous forme de ticket de
caisse, avec TVA, réduction ..."
· La
liste de courses : "Faire la liste
de nos espoirs, réalisables ou pas"
· Les
clients : "Galeries de
portraits"
g/
Chaque atelier commence par un rituel d'échauffement où chacun écrit anonymement des phrases
courtes à déposer dans des emballages.
•
Un espoir dans un paquet de Pépito
•
Une colère dans un sac à pommes de terre
•
Un souvenir d'enfance dans un paquet de
madeleines
•
Un mauvais souvenir qu'on voudrait effacer dans
un paquet lessive
•
Une tristesse dans une boite de mouchoirs
•
Une contrariété, une amertume dans un bocal de
cornichons
•
Un mot doux, une douceur dans un paquet de coton
•
Un plaisir dans un paquet de sucres en morceaux
•
Un truc idiot dans un paquet de nouilles
•
Une petite vacherie (parce que la boite est
petite) dans une boite de Vache qui rit
•
Une phrase choc dans une tablette de chocolats
•
Une drôlerie dans un paquet de riz
•
Un mot aimable dans une boîte de carottes
•
Un mot d’amour dans un paquet de rasoirs jetable
•
Un désir dans un paquet de café
•
Un mouvement de gym dans un pack de jus d’orange
•
Un SOS dans une boîte de sardines
•
Un cri de victoire dans une boîte à camembert
(Le sapeur et mam’zelle Victoire)
A la fin de l'atelier, nous envisageons
d'éditer un recueil collectif de toutes ces phrases.
5 L'atelier du jour :
Objectif :
Détourner les slogans publicitaires avec
les mots qui sont venus à l'esprit, pour en faire des phrases à soi qui
serviront à amorcer de petites histoires.
Il commence par le rituel d'échauffement
décrit précédemment.
Temps d'écriture : 10 minutes.
La proposition d'écriture du jour va
comporter plusieurs phases.
Énoncé de la première phase de la
proposition d'écriture
"Vous allez d'abord prendre une feuille et écrire :
un
adjectif qui vous vient à l'esprit
un
nom commun
un
nom propre (un lieu, une personne)
un
adjectif supplémentaire
un
autre nom commun
un
sentiment éprouvé par vous-même ou quelqu'un d'autre
un
défaut ou une qualité."
Temps d'écriture : 5 minutes
Pour amorcer la deuxième phase de la
proposition d'écriture, on lance un jeu de devinette collectif sur des slogans
publicitaires qui aura en plus le mérite de détendre l'atmosphère.
Il s'agit de lire le début de chaque
slogan sans dévoiler la marque, les caissières devinent ou plutôt retrouvent la
suite. Rires assurés
Voici la liste des slogans :
Amora :
Par
amour du gout.
Badoit : Peut-on
envisager un repas sans Badoit ?
Bonduelle
: Quand c’est bon, c’est Bonduelle
Bosh : C'est
grand, c'est bien, c'est Bosh
Boursin
: Du
pain, du vin, du boursin
Calgon
: Le
lave-linge dure plus longtemps avec Calgon
Carglass
: Carglass
répare, Carglass remplace.
Carte
Noire : Un café nommé désir.
Cdiscount:
Créateur
de pouvoir d’achat
Chocapic:
C’est
fort en chocolat.
Cochonou
: Le bon saucisson comme on
l’aime chez nous.
Danette
: On
se lève tous pour Danette.
Durex :
Love,
sex, Durex.
Findus
: Heureusement
qu’il y a Findus.
Freedent
: Pour
des dents belles et fortes.
Frosties
: Le
tigre est en toi.
Gilette
: La
perfection au masculin.
Gini : La plus chaude
des boissons froides.
Haribo
: C’est
beau la vie, pour les grands et les petits !
Heineken
: La
bière qui fait aimer la bière
Herta :
Le
gout des choses simples.
Intermarché
: Tous unis contre la vie chère.
Kiri : Le
fromage des gastronomes en culottes courtes.
Kit-Kat : Have a break. Have a Kit-Kat
Lactel
: L’essentiel
est dans Lactel.
Leroy
Merlin : Et vos envies prennent vie !
Malabar
: Quand
y’en a marre, y’a Malabar !
McCain
: C’est
ceux qui en parlent le moins qui en mangent le plus
Mentos
: Le déclic fraîcheur.
Nutella: Il en
faut de l’énergie pour être un enfant.
Planta
Fin: Le
fin du fin, c’est Planta Fin.
Tropico: Quand
c’est trop, c’est Tropico !
Temps du jeu devinettes : 5 minutes
A la fin du jeu, on retourne un panneau
sur lequel on les a tous écrits.
Enoncé de la deuxième phase de la
proposition :
"Vous reprenez la feuille sur
laquelle vous avez écrits les mots tout à l'heure. Parmi tous les
slogans affichés, vous allez en utiliser plusieurs auxquels vous enlèverez un
ou des mots pour y mettre les vôtres à la place. Vous devez utiliser tous vos
mots, plusieurs fois, si vous le souhaitez."
Temps d'écriture : 10 minutes
Nous demandons à chacun de lire ses
phrases à voix haute. Réactions des uns et des autres autour de la table,
bienvenues. Nous accueillons tous les commentaires, les rires et les sourires,
autant d'échos aux imaginaires des uns et d'autres.
Temps de lecture et réactions : 10
minutes
Enoncé de la troisième phase de la
proposition :
"Maintenant, vous allez reprendre au
moins une de vos phrases et nous écrire la suite."
Temps d'écriture : 20 minutes
Restitution 15 minutes
Idée
d'ouverture sur atelier d'écriture avec les clients intéressés (contaminés par les hôtesses), à la
médiathèque. On pourra faire des propositions élargie à la vie de la commune, à
l’environnement, à la vie post moderne en milieu rural, le tout sur fond de
propositions littéraires adéquates.
Propositions
de lecture :
" Tu vois, si tu ne travailles pas bien à l'école, tu
finiras caissière comme la dame. " C'est dit. C'est pesé, emballé,
étiqueté. Et pourtant... Elle s'appelle Anna, elle a vingt-huit ans, un diplôme
universitaire de littérature et huit ans d'expérience derrière une caisse de
supermarché. Une caisse qui n'entend que les codes-barres. Un métier peu
propice aux échanges, invisible, des gestes automatiques... Entre les bips qui
ponctuent ses journées, Anna aurait pu se sentir devenir un robot si elle
n'avait eu l'idée de raconter son travail. Au fil des jours, ces menues
anecdotes qui la font rire, l'agacent ou l'émeuvent sont ses tickets de caisse
à elle. Elle vous a vu passer à la caisse. Vous avez été des clients faciles ou
des emmerdeurs, riches ou pauvres, complexés de la consommation ou frimeurs.
Vous l'avez confondue avec une plante verte ou vous lui avez dit bonjour, vous
avez trépigné à l'ouverture du magasin ou avez été l'habitué nonchalant des
fermetures. Anna, vous l'avez draguée, méprisée, insultée. Il ne se passe rien
dans la vie d'une caissière ? Maintenant, prenez votre chariot et suivez Anna
jusqu'à sa caisse. Celle que vous oubliez de voir vous a bien vu et raconte.
Anna Sam a vingt-huit ans, elle est titulaire d’une licence de lettres modernes
et a travaillé plusieurs années dans la grande distribution.
Cela fait longtemps
que Julie ne croit plus aux contes de fée. Caissière dans un supermarché, elle
élève seule son petit Lulu, unique rayon de soleil d'une vie difficile.
Pourtant, un jour particulièrement sombre, le destin va lui tendre la main. Emu
par leur situation, un homme les invite dans sa maison du bord de mer, en
Bretagne. La chance serait-elle enfin en train de tourner pour Julie ? Dans ce
roman où l'émotion est présente à chaque page, elle nous fait passer avec une
énergie communicative des larmes au rire, elle nous réconcilie avec la vie.
Pendant un an, Annie
Ernaux a tenu le journal de ses visites à l'hypermarché Auchan du centre
commercial des Trois Fontaines situé en région parisienne. "Voir pour
écrire, c'est voir autrement ", écrit-elle. On redécouvre en effet à ses
côtés le monde de la grande surface. Loin de se résumer à la corvée des
courses, celle-ci prend dans ce livre un autre visage : elle devient un grand
rendez-vous humain, un véritable spectacle. Avec ce relevé libre de sensations
et d'observations, l'hypermarché, espace familier où tout le monde atteint la
dignité de sujet littéraire.
Les temps sont durs, la poésie ne nourrit pas son homme - ce
qui pousse Juana à chercher un emploi. Sans diplôme, elle accepte une place de
caissière dans une Grande Surface. Le monde des supermarchés est, pour la tête
rêveuse d'Emmanuel, plus éloigné que l'Afrique. Ce qu'il en découvre, à travers
l'expérience de Juana, le plonge dans des abîmes de perplexité. Jouant sur le
décalage entre deux univers, Michel Waldberg nous offre un portrait cruel et
drôle de "l'horreur économique" de notre société "ouverte".
Roman drôle et
émouvant raconte la vie ordinaire de Michèle, caissière dans un hyper de
Picardie, qui observe sans complaisance l'univers de la grande distribution.
Mais la nuit, Michèle rêve. Elle se voit différente. Conquérante. Et,
imperceptiblement, ces rêveries inattendues vont permettre à cette femme seule
de renaître à la vie.
De temps à autre, il y a un miracle. Un
gamin tranquillement assis dans le caddie qui lui décoche un sourire d'ange et
un parfait « Bonjour madame ». Quelques enfants, plutôt rares, plutôt des
petits garçons, s'informent. C'est la litanie des « Pourquoi ? ». Pourquoi t'es
là, pourquoi t'es habillée comme la dame d'à côté, pourquoi tu fais un petit
bruit, pourquoi t'es toujours assise, est-ce que tu es fatiguée ? Pourquoi tu
fais ça ? Un jour, un mouflet lui a même balancé avec un air important : « Tu
sais, mon père y dit qu'tu fais un boulot de con. » Le minot n'avait même pas
l'air méchant. Non, pour lui c'était simplement une évidence. Michèle était
restée silencieuse. D'abord, lui claquer le bec à ce morveux lui aurait attiré
des ennuis, et le pire, c'est qu'il n'avait pas forcément tort.
Rien ne prédestinait
Michèle, la cinquantaine, à travailler dans la Grande Distribution. Mais le
décès subit de son mari lui impose d'accepter un poste de caissière dans un
hyper planté en pleine zone industrielle, sous la brume grise et humide de
Picardie. Se lever aux aurores, prendre le bus, retrouver ses collègues, faire
attention aux clients, au Chef, et, à la fin de la journée, rentrer dans sa
maison vide... Un quotidien d' « hôtesse de caisse ». Tant pis si l'élégance
hypocrite du titre ne garantit ni la correction de l'employeur ni la courtoisie
du client. Mais la nuit, Michèle rêve. Elle se voit différente. Conquérante.
Gagnante. Les jours changent alors imperceptiblement. Elle qui subissait sa vie
se met à prendre des décisions, à provoquer des rencontres, s'extirpant peu à
peu du malheur. Un roman drôle et moderne servi par une écriture piquante où
chacun pourra puiser une belle leçon d'humanité et de courage.
Pour les petits : A partir de 7
ans. Que se passerait-il si un loup quittait la forêt pour entrer en ville et
se rendre au supermarché ? Que se passerait-il si le loup y rencontrait un
prince déguisé en homme ordinaire ? Si le prince conseillait au loup de se
faire passer pour un simple chien ? Que se passerait-il ensuite si le prince
tombait amoureux d’une caissière si belle qu’elle pourrait être une princesse
déguisée en caissière ? Que se passerait-il enfin si la caisse du supermarché
se métamorphosait en coffre-fort dans une explosion ?
Extraits :
Au bonheur des dames - Emile Zola
Le ventre de Paris - Emile Zola
Test réalisé :
(Une
artiste-serveuse de restaurant, un animateur fonctionnarisé, un jeune artisan
d’art au chômage)
Nous
notons une plus grande difficulté à travailler sur les slogans choisis, si tous
les mots de ceux-ci ont été remplacés. En effet, à ce moment, le slogan a
tendance à disparaître complètement. Seule demeure sa structure grammaticale,
ce qui n’est pas suffisant pour la lisibilité de son détournement. Par
conséquent, garder au moins un mot du slogan s’avère plus drôle et plus efficace
pour son utilisation.
Par
exemple :
Sur la
base de « par amour du goût »,
on a eu : « par amour des
poissons… », conservation du mot amour.
Sur la
base de « C’est beau la vie pour les
grands et les petits », on a eu : « C’est beau la joie pour les grands et les citrouilles », conservation
de deux mots : beau et grand.
Sur la
base de « Carglass répare, Carglass
remplace », on a eu « Martha
répare, Martha rend bleu et orgueilleux », conservation d’un verbe
clef.
Par
ailleurs, il a paru spontanément indispensable à l’un des participants de
rajouter des mots ne figurant ni dans les slogans ni dans les mots choisis.
Exemple :
Sur la
base de « par amour du goût »,
on a eu : « par amour des
poissons, pour tous les poisseux qui plongent du haut des pontons »,
phrase dans laquelle on trouve un mot du slogan initial (amour), deux mots
parmi les mots choisis (poissons et pontons), et deux mots rajoutés (poisseux
et plongent).
Cette
prise de liberté inventive par rapport à la consigne nous a semblé bénéfique.
Par
suite, nous nous sommes interrogées sur l’opportunité de rajouter les
précisions ci-après à la consigne initiale.
Consigne
initiale :
"Vous reprenez la feuille sur laquelle vous avez écrits les mots tout à
l'heure. Parmi tous les slogans
affichés, vous allez en utiliser plusieurs auxquels vous enlèverez un ou des
mots pour y mettre les vôtres à la place. Vous devez utiliser tous vos mots,
plusieurs fois, si vous le souhaitez."
Précision :
Pour
parvenir à intégrer tous vos mots choisis et éviter d’avoir à en rajouter, qui
ne soient ni dans le slogan initial, ni dans vos mots choisis, il est
préférable de sélectionner au moins trois slogans et veiller à conserver un mot
de chacun des trois slogans initiaux.
A
l’issue des différents retours sur notre atelier et pour faire suite à la
demande qui en découle, nous présentons ici pour conclure, une ouverture sur la
troisième phase.
Comment faire écrire un texte qui
intègre les nouveaux slogans ? Qui les prononce ? Quel genre de
client ? « De l’humain avant toute chose ! »
Il y a un effet de progression dans la
proposition. La personne à qui l’on s’adresse, mettons le client, aura choisi
des mots, spontanément, comme demandé, en écriture automatique. Puis, elle aura
choisi au moins trois slogans pour pouvoir affecter tous ses propres mots, en
conservant un mot aux slogans sélectionnés pour en éviter la disparition. Cela
est assez facile et ludique. A partir de là, il y aura, nous l'espérons, un défi
personnel à vouloir poursuivre jusqu'à l'écriture d'une petite histoire, en
raison de l’envie de faire vivre les slogans ainsi détournés et pas seulement
partir en les ayant en-tête.
Par exemple, un homme d'âge mûr, très
gentil et un peu bourru, infographiste de son état, peu fortuné et déprimé sur
l'état du monde et sur sa propre condition d'existence.
Il a choisi les mots suivants :
moche / dégueulasse / crotte / cadavre / Tchernobyl / tristesse / minérale
(pour désigner une qualité). Et les slogans, « quand y'en a marre, y'a
malabar / Du pain, du vin, du bourcin / Le fromage des gastronomes en culottes
courtes.
Il choisit de substituer de la manière
suivante : quand y'en a marre, y'a Tchernobyl / Du moche, de la crotte, du
cadavre / Le fromage dégueulasse des gastronomes en tristesse minérale. Et de
développer les trois slogans en un seul texte. Cela donne :
Mais qu'est-ce que nous sommes bien
venus mal faire sur cette planète ? Est-ce que quelqu'un va finir par me
le dire avant que je ne disparaisse, oui ou non, comme ma malheureuse copine
sur son lit d'hôpital avec ses cheveux tombés et ses aiguilles de
partout ? J'aurais pu choisir de vous dire : heureusement, il y a la
batterie ! Et non Findus. La batterie sur laquelle je tape comme un dératé
pour entrer en transe et oublier ! Oublier que je n'ai pas aimé, que je
n'ai pas été aimé, et que ma seule amie s'envole en lambeaux ! Alors oui,
quand y'en a marre, y'a Tchernobyl, pour sûr, pour que ça cesse un bon coup et
qu'on n'en parle plus ! Je vous entends bien me dire, vous, la fille
quémandeuse avec votre mèche blanche prête à exploser en roux, que ça va mieux
en l'écrivant ! Mais j'ai peur que ça ne soit que bidon ; car en vrai
y'a que ça, du moche, de la crotte et du cadavre ! Alors c'est ça la
vie ? Ce fromage dégueulasse des gastronomes en tristesse minérale ?
Vous voyez, pourquoi il faut absolument savoir, pourquoi on est là, avant d'en
finir ! Parce que moi, Madame, moi qui vous écrit si durement, en cassant
ma mine ou plutôt la vôtre, sur ce papier si gentiment prêté, je ne peux même
pas me transformer en animal lubrique, voyez-vous ! Alors je tape sur ma
caisse claire je tape, moi je tape sur ma caisse claire, moi je tape …
Exemple de texte libérateur. Après ça,
on a bu un coup, il a ri, on est allé au ciné se fondre dans la toile.
F I N