jeudi 31 janvier 2013

Si Peau d'âne m'était conté



« Il est des gens de qui l'esprit guindé,
Sous un front jamais déridé,
Ne souffre, n'approuve et n'estime
Que le pompeux et le sublime.
Pour moi, j'ose poser en fait
Qu'en de certains moments l'esprit le plus parfait
Peut aimer sans rougir jusqu'aux marionnettes;
Et qu'il est des temps et des lieux
Où le grave et le sérieux
Ne valent pas d'agréables sornettes.
Pourquoi faut-il s'émerveiller
Que la raison la mieux sensée,
Lasse souvent de trop veiller,
Par des contes d'ogre et de fée
Ingénieusement bercée,
Prenne plaisir à sommeiller?

Sans craindre donc qu'on me condamne
De mal employer mon loisir,
Je vais, pour contenter votre juste désir,
Vous conter tout au long l'histoire de Peau d'Âne. », Charles Perrault, Peau d’âne.


En partant de plusieurs versions de « Peau d’âne », il s’agit de trouver dans sa réécriture modernisée l’occasion d’une interrogation sur la cohérence d’un récit long, sur l‘instauration de la connivence intertextuelle et sur la modernisation des valeurs, sans oublier le plaisir pur de la narration...

« De façon paradoxale, le conte qui se veut fidèle à un passé reculé, primitif presque, vise à susciter chez le lecteur la conscience tout à fait inédite de la modernité »,  A. Welfringer,  http://www.fabula.org/revue/document1400.php

          

Conté par Laure Jaen

LA PEAU D’ANE DE MARIE-ANNE

Il était une fois, dans une Italie dirigée par la peur, un jeune couple fortuné qui vivait à Naples dans une vaste demeure sécurisée.
L’Italie était un de ces pays victime de la colère des anges. La nuit, lorsque toutes les lumières étaient éteintes, et que les hommes sous la direction d’un couvre-feu, étaient dans leurs chaumières, des combats sanglants éclataient dans les ruelles. On entendait, de par les murs peu épais, les hurlements stridents des anges de leur ultime combat. Femmes ailées, saints, anges prudents, conseillers et diablotins : la guerre était déclarée entres eux.
L’humanité tremblait et les hommes devaient procréer pour la survie de l’espèce humaine. Le couple avait donc pour souhait le plus cher d'avoir un enfant.  Et par un beau soir d'hiver, le miracle de Noël opéra et ils eurent une petite fille qu'ils surnommèrent Marie-Anne. Mais peu de temps après cela, lors d'une nuit glaciale, la mère de Marie-Anne fut fiévreuse. Alors qu’elle sentait ses paupières se fermer, elle résista et dans un dernier souffle dit à son mari : « A l’ avenir, je ne veux qu'aucune femme plus belle et plus riche que moi ne t'épouse après ma mort. Cependant ma fille a mon consentement pour son futur mari car je sais qu’elle fera le bon choix. Prends bien soin d’elle. Elle est ma mémoire. »
Son mari acquiesça sans rien dire.
Après la mort de sa mère, durant toute son enfance et ce jusqu’à son adolescence, Marie-Anne et son père furent très proches et très complices. Chaque été, ils partaient en vacances vers des destinations colorées. Ils avaient visités les Maldives, le Brésil, les Etats-Unis, l'Inde... et à chaque fois, son père réservait la plus belle suite du plus bel hôtel de la plus belle ville du pays. Marie-Anne était comblée de bonheur auprès de son tendre père protecteur.
Cependant, tout son petit univers s’ébranla d’un seul coup.

Un beau jour, pour des raisons professionnelles, son père se rendit en Suisse et en sortant du travail, à la tombée de la nuit, il partit se promener autour d’un très grand lac. Afin de ramener, comme à son habitude, des petits trésors à sa fille chérie, il rentra dans une minuscule boutique éclairée de mille feux. En effet, son produit phare était le briquet de luxe. Il y en avait de toutes les couleurs et formes mais ne sachant pas lequel ferait le plus plaisir à sa jeune fille, il en acheta pas moins de cinquante. Et de feu en flamme, il tomba éperdument amoureux de la commerçante qui fut éblouie par sa fortune car malheureusement pour elle, son commerce n’était pas une affaire. En plus de ne gagner que très peu d'argent, elle n'était pas très jolie. Elle avait un grand front, des dents non alignées et un nez si protubérant qu’il cachait ses petites lèvres orphelines. De plus, quand elle riait, tout le monde l'insultait car son rire était similaire à celui des ânes. Elle n’avait pas très grande réputation.
Lorsque son père rentra de Suisse accompagné, sa fille ne comprit pas son choix. Sa mère était si radieuse et distinguée à côté d'elle que Marie-Anne passa par tous les sentiments : jalousie, colère, haine, amertume. On ne pouvait entraver la  mémoire de sa défunte mère.
La nouvelle jeune femme emménagea chez eux en Italie dans leur vaste demeure surplombant la baie de Naples. La commerçante était mère de deux enfants nommés Ingot et Silver, tant elle voyait en eux, une richesse future. Ils étaient tous deux blonds aux yeux bleus. L'un était beau soigné, grand et droit, l'autre était simple, petit et courbé. L'un étudiait la politique, l'autre était artiste et s’était installé à Barbizon en France. Quelle déception Marie-Anne eut-elle lorsqu'elle découvrit que sa nouvelle marâtre emménageait chez son père avec Ingot, son cadet étudiant de vingt-cinq ans ! Marie-Anne ne put s'empêcher de penser que toutes ses décisions étaient uniquement intéressées par le pouvoir pécunier de son père. La vente de sa boutique de briquets ne suffisait pas à payer les impôts de la demeure et les études de son fils. Elle voyait donc en sa nouvelle belle-mère, une femme extrêmement vénale. Marie-Anne, bien que vivant sous le même toit, ne souhaitait pas les connaître davantage et de ce fait, elle ne fit même pas attention à leur prénom. Inlassablement, elle continuait donc de sortir avec son père, de se faire choyer, aimer et adorer par ses soins et son chéquier.

C'est alors, par une nuit agitée, tandis que Marie-Anne ne trouvait pas le sommeil, qu’elle descendit de son grand lit blanc à baldaquins et s'avança vers sa fenêtre. Sa grande chambre ovale donnait sur le front de mer. Il faisait nuit noire, mais elle crut apercevoir un ange qui flottait au-dessus des flots. Elle s'avança vers son vitrail panoramique et s'agenouilla. L'ange était devant sa fenêtre et scintillait de bonne volonté. D’un geste apaisant, il lui tendit une carte couleur or et sans dire un mot, il s'envola dans les cieux. Marie-Anne retourna se coucher et à la lueur d'une bougie, lu le mot inscrit sur la carte d'or :
« Dans un an, jour pour jour
Bal de l'Assemblée
Venise »
Les jours qui suivirent, Marie-Anne ne dit jamais rien à personne, elle attendait simplement mais elle avait pris soin de préparer son voyage à l’avance grâce au compte en banque que son père lui avait préalablement ouvert.
L'année suivante, pour s'assurer de la date, elle relut la carte d'or et cette fois-ci, elle était prête ! Elle prit l'avion pour Venise en première classe et en moins d'une heure elle arriva dans la plus merveilleuse ville du monde. C'était la première fois qu'elle voyageait seule.
Venise : ses canaux verdoyants, ses hautes maisons orangées aux nombreuses fenêtres, ses places carrées, ses milliers de petits ponts, ses restaurants traditionnels et ses gondoles illuminées par des lanternes lorsque tombe la nuit. Quelle ville charmante ! Marie-Anne se perdait dans les ruelles labyrinthiques de Venise et à chaque regard, son cœur s’ouvrait davantage. Puis, à force de vagabonder, elle finit par trouver le lieu du bal auquel elle était conviée.

L’Assemblée était un monument d’une architecture incommensurable. La façade faisait quatre fois l’entrée de Versailles, ses vitres reflétaient le ciel étoilé dans sa totalité, l’or jaillissait des fontaines, ses jardins étaient une insulte à Le Nôtre. Elle eut l’impression que tous les artistes avaient participé à l’édification de ce lieu magique. L’Assemblée était, à ses yeux, l’apogée de la Renaissance.
Marie-Anne avança vers la somptueuse entrée, simplement vêtue d’une légère robe blanche qui laissait imaginer la pureté de ses formes. Afin de rentrer dans l’Assemblée, Marie-Anne dut montrer sa carte en or et choisir un loup vénitien traditionnel. Elle prit le masque argenté qui brillait le plus parmi la collection ! Une fois mis ; seule sa chevelure bouclée permettait de la reconnaitre, elle entra dans la vaste salle principale, puis à son aise, s’intégra dans la foule mondaine. Marie-Anne pris le temps de regarder les gens qui l’entouraient. Elle remarqua qu’ils se tenaient droits et que chacun avait une coupe de champagne dans la main gauche afin de pouvoir serrer la main ou tenir le cigare avec celle de droite. Elle les imita en prenant une coupe et en allant voir le monde.
Alors qu’elle parlait avec un ministre, Marie-Anne sentit un effleurement. Elle se retourna avec délicatesse et sourit. En face d’elle se trouvait un grand jeune homme, habillé d’un costume noir et d’une cravate noire sur chemise noire. Seul son masque de couleur or contrastait. Il ne souriait pas, et, d’un ton neutre, lui dit ces mots : « Bonsoir, une femme ailée m'a prié de venir vous voir pour vous donner ceci, par pudeur je n’ai pas ouvert la malle. Pardon, je m’appelle Ingot. Et vous ? » - « Je m’appelle Marie-Anne, je suis venue de la part d’un ange, mais je ne sais encore pourquoi. J’ai hâte de le découvrir ! » Elle prit la malle et s’enfuit se réfugier dans un lieu calme.
Marie-Anne ouvra la porte d’une petite salle décorée uniquement d’une colossale cheminée en pierre. Elle se mit au milieu de la pièce, posa la malle sur le parquet et d’un geste vif, l’ouvrit. Elle crut rêver, comme par enchantement, des robes se mirent à défiler devant ses yeux. Elles étaient toutes parées de milles diamants, de fils d’or et de pierres précieuses, l’une était couleur de la lune, l’autre couleur du soleil, chacune était un bijou unique. Elle pensa tout de suite à un cadeau de son père et décida de revêtir immédiatement une robe aux couleurs des quatre saisons. Elle accouru rejoindre Ingot, et l’invita à danser pour le remercier de sa gratitude.
Ingot et Marie-Anne commencèrent à valser et à tournoyer au son de l’orchestre. Marie-Anne se surpris même à fermer les yeux. Mais lorsqu’elle les ouvrit, tout avait disparu autour d’elle. Tout, sauf Ingot. Ils furent projetés dans un pays inconnu, sur une route sinueuse. Le ciel était bas et ils respiraient une épaisse poussière. S’avançait vers eux une foule hurlante qui brandissait des pancartes. La révolution de son cœur était amorcée. Vite ! Marie-Anne referma les yeux. Lorsqu’elle les ouvrit à nouveau, ils furent chez eux, dans la maison paternelle de Naples. Elle avait parcouru des kilomètres mais Ingot était toujours là. Démasqués, tous deux avaient perdu leur loup en chemin. Ingot se trouva alors face à Marie-Anne, sa demi-sœur. Son cœur résonnait dans sa poitrine et il en fut troublé d’autant plus que Marie-Anne le regardait fixement d’un air attendri. Elle posa alors délicatement sa main sur son épaule et de l’autre lui tendit la clé de sa chambre. Elle lui fit un dernier sourire puis disparut subtilement dans l’obscurité du couloir.

Ingot était bouleversé par les évènements mais dirigé par ses passions il prit un pas décidé et s’orienta vers la chambre de Marie-Anne. Cependant, la demeure était immense et il devait retrouver un chemin qu’il n’avait jamais fait. Seuls de grands bougeoirs éclairaient certains couloirs ne laissant que son instinct pour guide. Dans un premier temps, il huma le délicat parfum de Marie-Anne, mais au bout de quelques minutes, son flair qui s’était habitué à l’odeur, ne put continuer de suivre sa traversée. Désespéré, il s’assit alors en tailleur sur le carrelage glacé mais lorsqu’il regarda la pénombre au fond du couloir, il crut apercevoir une forme. La femme ailée, qui lui avait donné la malle, sortit de nulle part pour lui apparaître plus distinctement. Son plumage était noir, ses griffes acérées et ses yeux ténébreux. Ingot se leva et comme hypnotisé par la peur, suivit la créature vers l’errance.

Pendant ce temps, Marie-Anne, toujours vêtue de sa robe couleur quatre saisons, arriva dans sa chambre. Elle retrouva son grand lit carré, lorsque tout d’un coup, sa robe se retourna sur elle-même et se mit à la serrer. Elle la serrait si fort que Marie-Anne tenta rapidement de l’enlever. En vain. La robe maléfique commençait à se métamorphoser afin de mieux l’emprisonner. Les couleurs devenaient ternes, les diamants se transformaient en pics, les fils d’or en lacets, et les pierres précieuses en cailloux. Marie-Anne se débattait, criait, mais plus elle tentait de détacher la robe plus celle-ci s’accrochait à son corps. Son père et Ingot entendirent les cris d’alertes. Son père, pris de panique, sortit rapidement de sa chambre mais tomba nez à nez dans le couloir avec la jeune femme ailée accompagnée d’Ingot.

Dans un autre couloir, l’ange de bonne volonté qui était apparu à Marie-Anne et soudainement averti par les hurlements de sa protégé, sortit d’une grande fresque et se dirigea vers la femme ailée pour l’immobiliser au plus vite. L’amour naissant de ces deux jeunes gens avait attiré l’attention des anges maléfiques. Le père de Marie-Anne, voulant aider l’ange et sauver sa fille, pris « l’épée forgée par Damoclès » exposée sur un pan, coupa les deux ailes de la femme ailée et son pouvoir avec. Cette dernière disparut aussitôt dans une fumée noire, ne laissant entendre qu’un son criard et désolé.
Ingot, toujours désorienté, et le père de Marie-Anne, confiant, furent portés par l’ange jusqu’au lieu du désastre. Aussitôt à terre, le père de Marie-Anne accourut vers la chambre de sa fille qui hurlait de plus en plus fort. Lorsqu’il ouvrit la porte, il vit sa fille bientôt étouffée par le col de la robe. L’ange de bonne volonté souffla la solution du maléfice à son père. Il devait tirer sur un fil de la robe qui dépassait. Mais avant cela, il devait trouver le seul fil non transformé en lacet. Aussitôt ; avec l’aide d’Ingot, ils virent un minuscule fil d’or dépassé et tirèrent dessus de toutes leur forces. Ils réussirent alors à découdre la robe petit à petit, du haut vers le bas, ne laissant apparaitre qu’un pan de tissu couvrant sa chasteté et le haut de ses cuisses. La jupe était née, Marie-Anne délivrée.
La même année, les anges, lassés des petites ruelles de l’Italie, s’en étaient allés sur un autre continent et en guise d’adieu, l’ange de bonne volonté déposa le masque argenté de Marie-Anne sur le rebord de la fenêtre de sa chambre. La paix avait remplacé le chaos en Europe.
Aussitôt, quelques hommes recommencèrent à sortir le soir, tandis que d’autres avaient connu le bonheur de rester en famille. Marie-Anne qui était de ces derniers, décida alors d’accepter sa nouvelle belle-mère.

Alors que Noël approcha, Ingot, pour l’occasion, mit en place une surprise pour Marie-Anne. Il alluma des centaines de briquets qu’il plaça sur le sol, de sorte à ce qu’apparaissent en lettres de feu : « Veux-tu m’épouser ? ».
Malgré les préceptes de la loi, elle fit confiance au pouvoir illustre de son père et accepta. Evidemment, son père lui offrit le plus luxueux des banquets, il privatisa le Vatican, fit venir de grands virtuoses, lui fit fabriquer une jupe couleur céleste et fit forger un anneau d’or que seul son doigt pouvait passer.
Le jour de la célébration, Ingot et Marie-Anne virent leur parent respectif arrivé, accompagné de Silver, l’artiste français. Leur famille était réunie pour la première fois.


Le Conte de Marie-Anne est difficile à croire, mais tant que dans le monde on aura des Filles, des Mères et des Mères-grands, les hommes seront toujours là, pour nous raccourcir les vêtements.
Ce conte nous enseigne aussi que la richesse de la Famille, peut se compter dans le portefeuille de nos Parents, mais surtout dans le cœur de nos Enfants.


Conté par Nour Tajudeen

 Démuni, dévasté. Rien ne pouvait être pire pour lui que la mort de celle qu’il avait aimée pendant 25 ans. Il n’avait jamais été très proche de sa fille, mais depuis le triste évènement qui avait bouleversé sa vie, une affection soudaine, violente, dérangeante, avait germée en lui.

Anne était fragile et son père creusait en elle un fossé qui elle le sentait, ne serait jamais comblé. Lui avait l’impression de revivre des instants d’un amour perdu, emporté par la mort. Ce n’était pas le corps d’Anne, pas sa peau, pas ses mains.

Les rares fois où la raison du père parvenait à être plus forte que son amour déplacé, l’homme était soudain pris d’une culpabilité angoissante. Que faire ? Comment réparer ce qu’il avait fait ? Le pourra t-il un jour ? Ces questions restaient sans réponse.

Pour se racheter, le père d’Anne lui offrait à chaque fois de précieux souvenirs qu’il avait gardé de sa femme, et qu’il avait conservé dans un endroit inaccessible et secret. La valeur du présent tentait d’être proportionnelle à la blessure faite… Parfois, un foulard ou une paire de lunettes de soleil. Un jour, ce fut des chaussures. Un autre encore, il dût lui offrir un manteau, ainsi qu’un tailleur gris et un chemisier de soie.
Ces présents ne faisaient en aucun cas guise de réparation, mais Anne les avaient rangés dans une boite en plastique bleue.

Puis, elle grandit. Si vite et si fastidieusement à la fois qu’elle n’en avait elle-même pas conscience. Son père ne fit pas de lien entre ce phénomène et son désir toujours plus vif. Les jours passaient, et tout se répétait merveilleusement, comme les secondes d’une montre mécanique.

Sa tante maternelle passa un mercredi après-midi. Le père d’Anne travaillait, et cette dernière avait pour habitude de rêvasser dans sa chambre pendant des heures.
Celle qu’elle n’appelait plus tata depuis longtemps avait disparu de sa vie bien avant la mort de sa mère. En vérité, Anne était très proche d’elle durant son enfance et la considérait comme une seconde mère. Mais les désaccords entre les deux sœurs les avaient séparées jour après jour et elles avaient fini par admettre qu’elles n’auraient jamais de relation fraternelle digne de ce nom.

Malgré sa fierté maladive, la tante d’Anne n’avait jamais cessé de l’aimer. Pas un seul jour passa sans qu’elle pensa à sa douce et fragile nièce, sans qu’elle se dit à quel point elle enviait sa sœur d’avoir engendré un être si parfait.

Quand elle la vit, elle comprit que quelque chose n’allait pas. Elle tenta maladroitement de lui demander ce qu’il se passait, et s’il y avait quelque chose qu’elle pouvait faire. Mais elle ne pouvait rien.
Qui était-elle à présent ? Où était elle passée durant toutes ces années? Pourquoi avait elle été la perpétuelle absente des repas familiaux et des moments heureux? De quel droit est ce qu’elle  proposait son aide à Anne maintenant qu’elle allait mal ? Anne la jeta à la porte avec une force qu’elle ne se connaissait pas.
Elle entendit sa tante éclater en sanglots, et frapper sa tête contre la porte, longtemps, et toujours plus fort. Mais sa tête à elle restait froide.

Cet incident avec sa tante avait néanmoins fait réfléchir Anne : il y avait effectivement quelque chose qui n’allait pas dans sa vie, et il fallait qu’elle en sorte. Mais vers qui se tourner ? Tous l’avaient abandonnée. Sa tante avait fait passer sa fierté avant sa relation avec  elle, son père était un lâche, qui n’était capable d’écouter autre chose que ses pulsions incestueuses, et sa mère… Sa mère l’avait plus encore abandonnée que les autres. N’était elle pas censée rester avec elle jusqu’à ce qu’elle éclose ? N’est ce pas le rôle d’un parent que d’être près de son enfant jusqu’à qu’il ait atteint l’âge adulte ?  Une chose était claire, elle était seule.

Un soir, alors que son père s’était profondément endormi devant le téléfilm de la chaîne 6, Anne en profita pour quitter la maison. Elle rassembla quelques affaires dans un petit sac en toile, sans oublier son trésor maternel. Elle ne laissa pas de note à son père, car il était sans doute imperméable aux mots, comme une bête déguisée pour vivre en société.

Anne marcha longtemps, assez longtemps pour atteindre un endroit inconnu, vierge de souvenirs. Elle prit soudain peur quand les premiers regards s’arrêtèrent sur elle. On dit souvent que les gens ne prennent pas garde, ne se remarquent pas, ne s’observent pas, mais c’est faux. Bien sûr que les gens avaient remarqué le jeune âge d’Anne, son air perdu, et ses yeux encore rouges de larmes : ça ne les regardait juste pas.
La jeune fille s’enfonça dans la ville en prenant des rues au hasard, jusqu’à une impasse assez large, mais sale, où elle aperçut un groupe de quatre jeunes gens de son âge, trois garçons et une fille. Après de longues minutes passées à se dévisager, l’un d’eux s’approcha d’elle. Il était grand et robuste, mais son visage trahissait son âge. Il avait les cheveux assez courts, bruns, légèrement abimés sur les pointes, les yeux verts et la bouche très fine. Il était plutôt beau garçon.

            « - T’es pas au lycée Condorcet toi ! Tu viens d’où ? »

Anne resta muette. Elle n’avait pas l’habitude de discuter avec les jeunes de son âge et ceux-ci ne lui inspiraient pas vraiment confiance. Le jeune homme, qui s’appelait Cyril, lui présenta le reste du groupe et lui proposa une bière. Anne accepta bien qu’elle n’aimait pas tellement ça, mais la nuit commençait à tomber et elle se sentait seule.
Elle ne prit quasiment pas la parole de la soirée, et se contenta d’écouter leur conversation. Elle répondait vaguement quand on lui posait une question et évitait de les interroger. Elle tenait fermement la boite bleue près d’elle, si fort qu’elle avait l’impression de fusionner avec elle, comme une nouvelle partie de son corps qu’elle se découvrait soudainement.
Cyril, qui était en quelque sorte le meneur du groupe, avait fugué du domicile parental. Ses parents étaient très riches, et il avait grandi dans une belle villa dans l’Hérault. Il avait volé en partant une grosse somme d’argent à ses parents, mais Anne ne savait pas ce qu’il en avait fait, s’il lui en restait et si tel était le cas, où il le cachait, puisqu’il dormait sur les quais de Jussieu.
Elle ressentit une folle attirance pour ce beau jeune homme, et surtout, elle se sentait en sécurité près de lui. Son aisance et sa carrure lui donnaient l’impression qu’il pouvait la protéger en toutes circonstances.

Le temps passait et le couple se rapprochait de plus en plus. Anne sentit qu’elle pouvait tout lui confier, et elle avait transféré tout l’amour qu’elle n’avait jamais donné sur ce jeune homme pour lequel elle éprouvait une admiration sans bornes. Mais Cyril et Anne vivaient une adolescence plus perturbée que les autres. Leurs histoires respectives leur donnaient une vision minimaliste du danger, ils étaient prêts à tout et rien ne leur faisait peur. Cependant, il fallait vivre, et la « débrouille » commençait à ne plus suffire, d’autant plus que leurs amis les avaient progressivement quittés pour une vie plus tranquille, et  plus conforme à ce qu’on peut attendre de jeunes adultes.

Et puis ils rencontrèrent Yves. Le jeune couple, qui était alors au bord de l’implosion, sentait qu’il lui fallait obtenir la protection de cet homme, peu importe le prix à payer. Yves était connu dans le monde de la rue, et il était très influent et respecté. Personne ne savait exactement qui il était et seules quelques rumeurs circulaient sur son passé.

Il proposa aux jeunes gens de faire commerce avec lui, et leur confia d’abord des « petits travaux ». Très vite, il s’aperçut qu’il pouvait leur confier un travail plus conséquent : ils étaient intelligents et leur amour et leur courage leur permettraient de se sortir de n’importe quelle situation. Il les rassembla un soir et leur expliqua son projet.

Le but était de rassembler de grosses sommes d’argent en obtenant des prêts dans les différentes banques de la ville. Yves avait préparé un trieur dans lequel il avait soigneusement préparé les justificatifs de plusieurs fausses identités. Il avait confié le tout à Cyril, qui devait superviser les opérations. Quant à Anne, elle était chargée de rencontrer les conseillers financiers.

L’opération se répéta plusieurs fois, et ils obtenaient à chaque fois des prêts plus importants. Les sommes étaient ensuite retirées dans plusieurs distributeurs automatiques.
Pour paraître plus crédible, Anne revêtait à chaque fois les vêtements de sa mère que lui avait offerts son père. Elle paraissait plus adulte, plus féminine, et la jeune fille pensait parfois au regard qu’aurait eu son père en la voyant vêtue ainsi.

Cyril aussi portait sur elle un regard plein de désir et d’amour. S’il avait fait beaucoup de ce qu’on peut appeler de mauvais choix, il était plein de bonne volonté, et au fond, il sentait qu’il ne trouverait pas son bonheur ainsi. Il se disait que ce n’était qu’une période à passer, et qu’un jour, il pourrait vivre « comme tout le monde ». Ses parents se rappelleraient-ils de lui ? L’envie de rentrer lui traversa plusieurs fois l’esprit, mais il ne pouvait pas le faire avec Anne, et il ne savait rien de son passé. Où irait-elle ? A-t-elle des gens qui l’aiment et qui attendent son retour ? Il avait l’intuition que non, bien qu’elle esquivait toutes ses questions.

Il arriva ce qui devait arriver. La police, aidée par les conseillers financiers dupés, avait monté un piège qui se refermait tout doucement sur les deux naïfs, chez qui la facilité des opérations n’éveillait aucun soupçon. Conscients du jeune âge d’Anne et de Cyril, les officiers de police, aidés par un pédopsychiatre avaient tenté une opération « en douceur ».
Cyril avoua tout, expliqua sa situation depuis maintenant près de 3 ans, donna les coordonnées de ses parents, ceux d’Yves, livra quelques indices sur l’endroit où pouvait se trouver le magot, et tenta au mieux d’innocenter Anne.
Cette dernière se tut. Elle ne savait pas quoi répondre, et même si c’eut été le cas, elle n’avait pas envie de s’adresser à eux. L’interrogatoire fut très long.

L’une des inspectrices, plus pédagogue que les autres, parvint tout de même à obtenir d’Anne qu’elle lui donne son nom de famille. Elle ne voulait en aucun cas qu’on puisse contacter son père, elle donna donc naturellement le prénom de jeune fille de sa mère. Après quelques recherches dans les registres d’état-civil, ils retrouvèrent une personne qui habitait à un peu moins de 50km et qui portait le nom qu’Anne leur avait indiqué. Ils ne le savaient pas encore, mais cette personne était en réalité la tante maternelle d’Anne, qui avait été l’élément déclencheur de sa fuite. Ils décidèrent de l’appeler dès le lendemain matin puisque la nuit était déjà avancée, et que la jeune fille était en sécurité désormais.

Le soir même, les amoureux furent placés dans un foyer pour jeunes délinquants. Cyril avait obtenu le droit de voir Anne avant le coucher. Il fondit en larmes et essaya de la rassurer du mieux qu’il pouvait. Elle ne répondait toujours rien, et quand il la prit dans ses bras, quelques larmes coulèrent le long de sa joue.

Cyril était attentif à tous les mouvements de celle qui était devenue le centre de son univers. Il épiait chacun de ses gestes, chacune de ses intonations, et pouvait alors anticiper toutes ses réactions. Ce qu’il avait ressenti ce soir lui faisait peur. Ces derniers mois, depuis leur rencontre avec Yves, il avait perçu chez Anne comme une impulsion, qui donnait l’impression qu’elle réagissait aux évènements avec moins de passivité. Il avait même perçu de plus en plus de sourires naturels, elle paraissait renaître de ces cendres dont il ne connaissait pas l’origine. Mais ce soir, tout cela semblait n’avoir jamais existé. Anne paraissait vide, une enveloppe de chair qui contenait un néant sans limites, un trou sans fond dans lequel on ne cesserait jamais de tomber. Il n’arrivait pas à se souvenir de ces rares moments où elle semblait être heureuse et cela lui faisait horriblement peur. Il tenta en vain de trouver le sommeil, la nuit lui parut plus longue encore que tout le temps qu’il avait vécu jusqu’à présent.

Le lendemain matin, Anne fut retrouvée sans vie par une éducatrice. Elle n’avait pas laissé de lettre, mais près de son corps se trouvaient les vêtements de sa mère déchirés et brûlés par endroits. A elle maintenant de tous les abandonner.

Conté par Sophie Le Tirant

Il était une fois, une jeune fille qui s‘appelait Anne.  Fille d’un grand dirigeant de la finance et d’une femme dévouée, elle vécut heureuse durant des années. Mais le mauvais sort s’abattit sur sa famille… Sa mère tomba malade, d’une maladie dont les médecins ne connaissaient aucun remède. Un jour, alors qu’Anne allait rendre visite à sa mère à l’hôpital, elle lui demanda une faveur : « Si un jour je viens à mourir et que je n’ai pas trouvé le courage d’exprimer à ton père ma dernière volonté, je veux que tu lui en fasses part ». Interloquée, Anne lui demanda quelle était cette volonté. Et elle lui répondit : « Je ne veux pas qu’il se remarie, excepté avec une femme qui t’aimera au moins autant que moi ». Touchée par tant d’attention, la jeune fille prit sa mère dans ses bras et lui en fit la promesse.
Les mois passèrent et la femme ne trouva guère le courage de parler à son mari, jusqu‘à ce qu‘un jour la mort l‘emporte. Anne et son père passèrent des journées entières à pleurer sa disparition. Ils auraient fait n’importe quoi pour qu’elle revienne.
Mais alors que son père semblait se remettre finalement assez aisément de cet évènement, Anne ne sortait pas de son chagrin et voir son père se mettre à courtiser les jeunes femmes ne l‘aida pas. Pour qu‘il arrête et pour respecter sa promesse, Anne expliqua à son père la dernière volonté de sa mère. Aussitôt, son père changea d’attitude. Il resta seul, désespéré de trouver une femme qui aimerait autant sa fille que sa défunte épouse. Ne pouvant se passer de femme dans son lit, mais voulant malgré tout conserver un certain honneur, il se dit que la seule personne qui pourrait l’aimer autant était sa fille elle-même, car qui voudrait autant de bien pour une personne que soi envers soi-même ?
Anne prit peur. Elle perdait tous ses repères : sa mère était morte et son père incestueux lui voulait du mal. Elle quitta le pays par mille péripéties pour enfin arriver en Angleterre comme servante à Birmingham Palace. Par humilité et sans doute aussi par crainte, elle ne parla jamais de son père qui pourtant était haut placé par la fonction qu’il occupait au
FMI.
Cet emploi au service de sa Majesté lui permit de vivre parmi un milieu social proche de celui dans lequel elle avait grandi. Elle côtoyait la reine Elisabeth, le prince Charles et même le jeune et beau prince Harry !
Un jour, lors d’une grande fête organisée en l’honneur d’Elisabeth II qui fêtait son jubilé de diamant, Anne fut chargée de faire les gâteaux. Très bonne cuisinière, elle s’exécuta avec passion. Les œufs étaient cassés, les blancs étaient battus, le beurre fondait, tous ses gestes très majestueux semblaient se conjuguer merveilleusement bien au fond musical de la salle de réception juxtaposée à la cuisine. Mais la malchance la guettait : lorsqu’elle prit la pâte pour la verser dans les différents moules, une maladresse voulut que l’une de ses bagues d’une grande valeur tombât dans le gigantesque saladier. Paniquée par ce faux pas, elle tenta de la récupérer en y plongeant la main, mais il était trop tard, la bague était allée trop profondément dans le récipient. La pauvre Anne ne savait plus quoi faire, les autres cuisiniers commençaient à s’impatienter, et le chef demanda à Anne d’aller plus vite et de verser la pâte dans les moules. Elle s’exécuta sans parler à personne de sa maladresse. Les gâteaux furent donc servis et tout le monde ignorait que l’un des gâteaux contenait une bague.
Elle observa les réactions des invités à travers le trou de la serrure. Tout le monde avait l’air d’apprécier les gâteaux, excepté le prince Harry qui devenait de plus en plus rouge… Tout à coup, Anne comprit qu’il avait avalé sa bague ! Lorsque les invités s’aperçurent que le prince était en train de s’étouffer, ils furent pris de panique jusqu’à ce que l’un d’entre eux, plus calme, sans doute un médecin, aille l’aider et lui fasse recracher la bague.
La fête s’arrêta aussitôt. Chacun pensait que l’on avait tenté de tuer la reine. Très vite, on soupçonna les cuisiniers, mais aucun n’avait les moyens d’avoir une telle bague.
Le prince Harry qui, lui, pensait plutôt à une incompétence de la part d‘une cuisinière, mena l’enquête de son côté. Mais il avait beau interroger chacune d’entre elles, il en venait lui aussi à la même conclusion : aucune ne pouvait s’acheter une telle bague. La seule solution était donc de faire essayer la bague pour savoir qui mentait sur ses origines.
Il réunit toutes les servantes et procéda à l’essayage. Aucun doigt ne convenait: les cuisinières étaient toutes en surpoids (sans doute à cause du nouveau fast-food qui s’était installé quelques mois auparavant, non loin de Birmingham Palace). Le prince commençait à se désespérer de trouver la propriétaire. A mesure qu’il se désespérait, sa rage s’amplifiait envers celle qui avait faillit le tuer. Il comprit donc que la propriétaire avait quitté le château. Sa rage le mena à chercher dans les registres qui avait démissionné du château et c’est ainsi qu’il vit le nom d’une cuisinière : Anne S.K.
Il chercha à travers toute la ville pour la retrouver, il frappa à chaque porte de chaque maison, de chaque appartement de chaque immeuble de la ville. Le dernier jour, il frappa à la porte de la seule maison qu‘il n‘avait pas encore visitée. Une jeune femme très belle lui ouvrit la porte. C’était Anne. Elle comprit que le prince était venu pour l’emmener en prison pour attentat envers la famille royale. Le prince qui était très en colère tomba sous le charme de la seule femme de la ville qui n’était pas obèse. Voir ce corps bien proportionné l’envoûta. Il lui fit essayer la bague et la jeune femme reconnut avoir fait tomber sa bague et lui raconta toute son histoire. Le prince, envoûté et sachant que la jeune femme était fille d’un grand dirigeant de la finance, décida de l’épouser malgré les interdictions de la reine, sa mère, qui se désespérait de voir tous ses fils épouser des roturières. Malgré cela, ils vécurent heureux et eurent peu d’enfants.

Conté par Kevin Massimo

 Il était une fois, dans un royaume bien lointain, un roi sans pareil et à la fortune plus grande que celle de la plus florissante des entreprises. Sa vie était belle, son étable encore plus, car ce souverain détenait en sa possession un âne souffrant d'un mal bien étrange : ses hurlements de douleur au petit matin étaient ponctués du tintement sonnant et trébuchant de pièces d'or tombant dans sa litière. Cette affection démoniaque valut bien vite à son possesseur une fortune impressionnante, lui qui chaque matin envoyait ses serviteurs se pencher dans la fange récolter chaque jour un peu plus de richesses. Mais l'économie du royaume souffrait de cet âne diarrhéique : chaque jour le cours de l'or baissait d'avantage, tant et si bien que la populace en eut bientôt plus que de grains, et l'or était bien moins digeste que ce dernier. Partout les paysans grognaient, pourquoi le roi n’avait-il pas plutôt dans son palais un âne qui défèque miches de pain et bon vin ?!
Le mécontentement gronda, le peuple se souleva, et dans un attentat qui emporta l'aile ouest de son grand château, le roi perdit le second de ses trésors : sa femme, dans la fleur de l'âge, fut fauchée par un gnome contestataire.
Sur son lit d’hôpital, entre les pleurs de la cour et les bruits de la machinerie médicale, la reine dans un dernier soupir fit promettre à son bien-aimé de ne jamais épouser plus belle qu'elle, bien sûr par la suite il en fut toujours quelques uns pour prétendre n'avoir rien entendu d'autre que des gargouillis, mais seules les oreilles royales avaient compris la volonté de la reine, et ainsi la plus grande beauté du royaume s'éteignit-elle, dans un râle agonisant et un bip définitif.
Le roi, accablé, rejoignit alors son seul enfant, une petite fille à l'âge des joies et des rires qui devait à présent souffrir la mort de sa mère. Le roi ne sut comment consoler son enfant et la confia à sa marraine, une fée désœuvrée qui prit soin de l'enfant et lui confia une précieuse bague de sa mère à choyer en souvenir.

Le roi fut alors libre de se consacrer à son règne, ne voyant plus sa fille que pour ses anniversaires, s'enfermant dans une chaste solitude que d'aucuns respectèrent et louèrent, ce roi suivait les dernières volontés de sa défunte épouse, et on le trouvait par certains après midi d'Automne à pleurer sur la tombe de sa moitié, se demandant si celle-ci avait cherché à condamner son époux en assurant son veuvage.
Les années passèrent dans le château, la jeune enfant grandissant sans père pour l'élever, errant dans les longs corridors à l'ombre des toiles colorées, soupirant aux fenêtres de tours argentées.
Son père pendant ce temps envoyait dans tous royaumes cavaliers et émissaires, chacun se pressant pour la même mission : trouver à son suzerain une beauté à emprisonner dans une cage dorée, une femme à marier plus pure que mille joailleries, plus radieuse que l'astre solaire, une demoiselle que Venus elle même jalouserait.

Mais les dieux furent capricieux, et chacun des cavaliers revenait les mains vides. Le sort cependant se montra bien moins dur avec le souverain, et lors du vingtième anniversaire de sa fille, celui-ci vit son cœur étreint d'une passion impure, l'horreur de ses ancêtres l'assaillit tandis qu'il succombait pour sa fille. Les susurrements de ses noires entrailles eurent raison de son bon sens et des cris de ses aïeux.
Le roi s'engagea, sa fille le repoussa, une dispute éclata, mais des mains plus douces que la soie sont bien peu de choses face à la colère d'un roi : il avait déjà fait écarteler sa propre belle-mère, il savait comment traiter une enfant difficile !
«Qu'on l'enferme ! Rugit-il, jusqu'à ce que la raison ou les saisons la fasse changer d'avis ! »

Lorsque la nuit tomba sur le royaume, tandis que la princesse se lamentait dans sa geôle et que  se développaient les sombres projets de l’inceste paternel, sa marraine apparut à la jeune fille. Au milieu d'un nuage de citrouilles, elle entra dans le cachot.
La demoiselle se réfugia dans ses bras, suppliant la fée de raisonner son père, mais nul ne peut changer un cœur entaché. Cependant il était toujours possible de lui faire abandonner son projet. La marraine expliqua son plan à la jeune protégée qui, le lendemain, fit annoncer à son père qu'elle était prête à se marier.
Accourant au cachot, le roi découvrit le dessein de sa fille : elle lui accordait le mariage à la condition que son père lui offrit une licorne blanche et pure pour l'emmener à l’autel.
Voilà le suzerain bien embarrassé, les licornes ayant disparu suite à une politique de chasse un peu trop agressive. Mais il ne perdit pas espoir, offrant dix sacs de grains à qui en trouverait une.

Quelques jours passèrent et le roi eut à punir de nombreux paysans pour s'être présentés au château accompagnés d'un cheval auquel on avait attaché une corne de bœuf à la tête. Mais un jeune homme arriva, muni d'une somptueuse créature tout de blanc parée et à la corne fièrement dressée. Après que la créature eut été correctement examinée par les vétérinaires du royaume, on conclut que la chose était bien une licorne. D’ailleurs son haleine, comme dans les légendes, sentait bon la cannelle.
Le roi alla donc trouver son enfant et lui offrit le noble animal, la jeune fille, ses yeux d'opale écarquillés, fut fort surprise, mais elle ne se découragea pas, et fit comprendre à son père qu'elle ne pouvait point se marier sans une magnifique robe scintillante de mille feux.
Le roi grommela quelques mots durs puis ordonna à ses hommes de lui procurer un tissu aux couleurs plus flamboyantes que la flamme du gaz de la cuisinière.

Après une semaine, un garde revint, en possession d'un tissu dérobé aux dieux eux-mêmes, plus scintillant que les foudres de Jupiter. Le roi fut fort content de ce présent, et récompensa grandement le jeune garde. Le tissu fut confié aux plus grands tailleurs du royaume, il fut découpé tendu, recoupé, lissé, coloré, recoupé, raccordé, détendu, décoloré, et présenté au souverain sous la forme d'une robe plus éblouissante et colorée qu'un concert de pop-music.
Le roi s'empressa alors d'aller montrer cette sublime parure à sa promise, et éblouit littéralement sa fille lorsqu'il lui montra la robe. Affolée, clignant des yeux, la princesse désespérait en essayant, par pure coquetterie, cette robe illuminée de mille feux.
La nuit venue la marraine vint visiter la jeune fille.
Se frottant les yeux près avoir vu la robe, elle conseilla à la fiancée réticente de demander à son père de tuer la source de sa richesse : l'âne. Nulle part ailleurs il ne pourrait trouver un tel animal, il se trouverait alors forcé d'épargner la jeune fille et la bête.

La princesse s'exécuta et enquit son père de sa volonté, lui demandant la peau de l'âne, seule chose pouvant lui faire un manteau assez « original » pour se présenter à un mariage tout aussi original.
Le souverain n'y réfléchit pas longtemps, prit sa fille de vitesse, et égorgea lui même l'âne qui s'effondra, vomissant petite et grosse monnaie. Il confia alors sa peau à ses meilleurs tanneurs qui changèrent la peau en un manteau répugnant. Le maître artisan expliqua au roi qu'un stagiaire massacra le bel ouvrage, et le stagiaire fut massacré à son tour pendant que le roi présentait à sa fille le pelage.
La jeune fille ne sut que faire, tenta de demander autre chose à son père, mais ce dernier fut emporté par la colère, « Il suffit ! Cria-t-il, tu m'épouseras demain à l’aurore ! »
Et il claqua la porte de la chambre de la pauvre princesse qui se réfugia dans ses oreillers pour pleurer. S'épanchant ainsi sur des plumes d'oie véritables, elle vit sa marraine lui apparaître, la fée déjà informée de la folie de son père lui confia son plan d’évasion, et la jeune fille se dépêcha de ranger ses affaires dans sa valise, revêtit la peau d'âne répugnante, et s'enfuit hors du palais sur sa licorne.

Elle chevaucha longtemps, toujours dans la même direction, sa marraine lui avait en effet confié qu'au nord elle trouverait amour et sécurité.
 Finalement elle arriva dans une grande prairie couverte de fleurs aussi blanches que pures, dont les pétales s’envolant vers le ciel se perdaient et se confondaient dans les nuages. Elle descendit de la licorne et avança au milieu de ce magnifique décor, tandis que le noble destrier la suivait, broutant quelques nuages au passage. Admirant le paysage, la jeune fille remarqua soudain la présence d’une bien étrange porte perdue au milieu du champ. Elle avança vers cet étrange objet, hésitante, et l’observa de plus près.
C’était une grande porte de chêne massif, on y voyait des sculptures dans le bois, des images de mort et de vie, des soleils et des lunes dansant dans les étoiles puis se perdant et disparaissant, des hommes se levant et tombant.
Elle ne remarqua pas que sa main était déjà sur la poignée, en train de la tourner, trop absorbée qu’elle était par les boiseries, elle ne s’en aperçut que lorsque la porte, ouverte face à elle, lui révéla un gouffre de ténèbres qui l’aspira d’un coup. Elle se sentit partir, son pied se leva, la porte l’attirait, elle eut des visions d’une terreur enivrante, des bêtes de pierres entrouvraient des chairs jusque là inconnues et se terraient dans la vie attendant la mort. Lorsque son pied passa l’encadrement, elle se réveilla soudain pour se voir décoller du sol, elle eut beau s’accrocher aux rênes de sa licorne, cette dernière se détacha elle aussi de la terre. La princesse hurlait en faisant face à la porte tandis que des griffes noires en sortaient et attrapaient ses jambes et ses bras, mais ses cris se perdaient dans l’infini derrière le bois. Finalement, les bras silencieux l’emmenèrent, elle entra.
Elle traversa de sombres terres aux tours de pierres s’élevant dans de noires citadelles condamnées par le temps, elle vit de grands champs tachés par le sang et la fumée, la terre tremblant au rythme  des hommes et de leurs tonnerres infernaux, elle regarda la terre se couvrir de ténébreux nuages qui l’enserrèrent à son tour, elle vit les flammes s’élever jusqu’au étoiles et leur fumée entrer en elle, elle toussa, étouffa, ses mains se crispèrent sur sa poitrine alors que son souffle s’enfuyait, puis, lorsque la douleur se calma, elle rouvrit les yeux. 
Elle était arrivée sur des terres aux routes de pierres et aux carrosses rugissant, dont la fumée des arrières trains était plus malodorante qu'aucune autre. Elle descendit de son beau destrier et contempla la campagne environnante ravagée par l'industrie, face à elle la métropole brûlait de vie et de cancer, dans son dos la licorne vomit un arc-en-ciel. « Nul ne pourra penser qu'une princesse se cache dans un pays aussi sale », se dit-elle, déposant en ce lieu ses bagages.

Ses premières années y furent difficiles, la jeune fille, vêtue de sa peau d'âne, était une paria quémandant dans le métro et fréquemment arrosée de peinture par des activistes des droits des bêtes, mais malgré tout elle ne désespérait pas.
Elle finit par trouver un travail, elle fut engagée par un jeune manager dynamique pour attraper les rats qui gambadaient dans son fast-food et les égorger dans les bacs à viande. En plus de peinture, son manteau fut taché par le sang des rongeurs. La nuit, elle mettait sa belle robe illuminée et se contemplait avant de s'endormir dans les cuisines.

Arriva le jour où un jeune homme, attiré par l'étrange brillance nocturne émanant de ce restaurant prolétaire, s'en approcha et colla son visage à la fenêtre pour en distinguer l’intérieur. Il fut d'abord choqué par la sauce coulant sur le sol et les traces noires sur les plaques chauffantes, puis une jeune fille irradiant littéralement de lumière attira son attention. Il admira pendant une dizaine de minutes sa beauté, la prit en photo avec son téléphone,  et s'enfuit avant qu'on ne le prenne pour un détraqué sexuel.
Il montra le lendemain sa photo au souverain de son entreprise, qui lui reprocha de se moquer de lui en lui montrant des photos de lampadaires, mais le doute subsista, et il se rendit alors au fast-food.
Ce jour là, la jeune peau d'âne avait dû remplacer un collègue aux cuisines, et cuisinait donc divers sandwichs dégoulinant de graisse. Le jeune PDG en entrant chercha des yeux la lueur type Tchernobyl qu'on lui avait décrite, mais ne voyant rien passa commande auprès des serveuses qu'il espérait faire parler.
Nulle ne sut lui répondre, on le prit pour un fou, ses actions baissèrent de trois points. Déprimé par la panique de ses actionnaires, il se réfugia dans la graisse, s'offrant un sandwich suintant et dodu destiné tant à remonter son cholestérol qu'à diminuer son espérance de vie.
Peau d'âne empoigna un steak, le balança sur la plaque et aspergea deux tranches de pain de sauce sur lesquelles elle posa du fromage, mais la pauvre jeunette ne sentit point la bague de sa mère, engluée par le cheddar, glisser de son doigt et se déposer tendrement sur le pain.
Elle la recouvrit du steak et la confia à sa collègue, qui elle-même le confia au jeune homme, qui lui même le confia a son estomac. Mais à mi-chemin du plat désiré, ses dents butèrent sur un ennemi invisible. Crachant dans sa main molaire et joaillerie, il fut étonné en regardant l'objet : était-ce là le cadeau du menu ? L'ingrédient secret du sandwich ? Il chassa ces réflexions et pensa que seule une femme magnifique pouvait porter si belle émeraude.
Cette pensée bien naïve le poussa à menacer le restaurant d'un procès si chaque employée n'essayait pas cette bague. Chevauchant, tel un prince, le cheval blanc de la menace judiciaire, il vit le manager crier sur ses troupes, les mettre en rang, puis les jeter face à l'épreuve.
Chacun face à la bague butait, le doigt étant bien souvent trop boudiné. Le jeune directeur se trouvait prêt à renoncer lorsque la bague arriva face à peau d'âne, cette sorte de grand rat-âne de cuisine ne pouvait être la détentrice d'un tel joyau, mais les bras lui en tombèrent lorsque la bague s'inséra parfaitement sur les mains salies par la poussière et les entrailles de rongeurs. Il s'approcha alors d'elle et lui retira la peau de bête qui la couvrait, emplissant la salle d'une lumière si radieuse que trois personnes à la vue fragile devinrent aveugles.
Le jeune fortuné se refusa à laisser s'échapper une telle beauté, et la ramena chez lui où il lui offrit amour et faste.

Leur amour dura ainsi quelques temps, repoussant les statistiques du divorce, puis un jour arriva dans cet étrange pays le roi, qui réussit à retrouver sa fille grâce à la lumière de la robe qu'elle portait et qu'il put avait pu voir depuis la campagne profonde. Attiré ainsi par cette robe du berger flamboyante, il rencontra son gendre, bénit mille fois leur union et s'excusa auprès de sa fille. Le roi n’avait finalement point pu tenir sa promesse : lassé de la solitude et craignant de laisser un royaume sans héritier, il avait épousé une femme, une vieille pie que la princesse détesta immédiatement. Peu lui en importait cependant, car elle était heureuse avec son mari, avec lequel elle vécut et eut beaucoup d'enfants dont la garde fut partagée lors de leur séparation. Par la suite, elle épousa un médecin.


Conté par  Elodie Langlet

 Il était une fois, dans un pays comme le nôtre, au sein d'une grande ville aux buildings de verre et d'acier, d'une grande ville asphyxiée de pollution et de trafics, d'une grande ville moderne, un couple comme les autres, peut être un peu plus riche, peut être un peu moins amoureux.

Et de ce manque d'amour naquît, un beau jour, une petite fille.
Petite fille sur la quelle la mère comptait secrètement pour renforcer les liens avec son jeune trader de mari, qui, quand il n'était pas à la bourse, en suivait le cours à table, au salon et même au lit.

Or, de tels vœux sont toujours déçus et le jeune père ne se montra pas plus présent pour sa fille qu'il ne l'était auparavant pour sa femme. Celle-ci finit par demander le divorce, obtint sans difficulté la garde complète et une pension alimentaire conséquente, et parti vivre avec sa fille dans une ville de province où elle était sûre de ne plus avoir à faire à son ex-mari.

Ainsi les années passèrent et la jeune fille grandit et s'embellit de jour en jour, sous l’œil attentif et bienveillant de sa mère. Elle se passionna pour les mathématiques dès le plus jeune âge et montrait un don certain pour cette discipline...
Pour palier à l'absence paternelle, elle gardait secrètement une photo de ce dernier, trouvée un jour dans un carton. En effet, même si elle n'avait pas de souvenirs précis de cet homme, elle lui portait un amour indulgent, lui inventant intérieurement toutes sortes d'excuses pour justifier son abandon.

Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes quand la mère tomba soudainement malade et que le mal du siècle, sous la forme d'un cancer foudroyant, lui ôta la vie en quelques mois à peine.
Éplorée, sa pauvre fille, qui n'avait pas encore fini ses études, se résigna à partir pour la ville, où elle comptait retrouver son père pour lui demander l'aide matérielle et financière dont elle avait encore besoin.

C'est ainsi qu'un jour, ce requin des finances, célibataire aguerri de la petite quarantaine, vit débarquer chez lui une fille dont il ne s'était jamais occupé, et qui malgré cela semblait n'avoir acquis que des qualités. D'abord assez indifférent et froid à sa présence, la gentillesse, la beauté et l'intelligence de la jeune fille firent peu à peu naître en lui un sentiment qu'il ne connaissait pas : l'amour.

Cet intérêt soudain que lui apportait son père, réjouit dans un premier temps la jeunette, qui le prit d'abord pour de l'amour paternel enfin exprimé. Mais lorsqu'il lui dit clairement qu'il ne supporterait pas de la garder sous son toit à moins qu'elle ne consente à devenir sa compagne, elle réalisa la véritable nature de l'amour de son père.

Cette découverte la plongea dans un grand désarroi, car elle avait besoin de son père pour la poursuite de ces études et qu'elle n'avait d'autres endroits où aller.

Elle réfléchissait à qui demander conseil, lorsque, sur son écran d'ordinateur, une banderole clignotante lui donna la réponse : « voyance en direct – des réponses à toutes vos questions avec Izma, voyante par téléphone – 7j/7, de 9h à 22h - au 0 867 08 08 » L'image d'une bonne vielle femme au regard mystique, le sourire caché derrière les cartes d'un tarot, lui parut engageante.
Elle composa le numéro indiqué et après quelques moments d'attente au son d'une musique désuète,  une voix de femme avec un fort accent des pays de l'est lui demanda son nom, sa date de naissance et son numéro de carte bleue. Comme la jeune fille était généreuse, elle donna à la vielle tout ce qu'elle souhaita et pu enfin raconter ses problèmes.

Après une longue et onéreuse conversation téléphonique, elle avait la solution : demander à son père, un présent qu'il ne pourrait lui offrir avant de lui accorder son consentement.

Elle lui demanda alors une Bugatti pliable qu'elle pourrait transporter dans son sac à main pour ne pas avoir à chercher des places de parking.
Ce qu'elle ignorait alors, c'est que son père était un haut actionnaire dans les laboratoires de miniaturisation automobile, et qu'après avoir menacé d'arrêter les financements pour la recherche, il obtint le bijoux technologique que lui demandait sa fille, en quelques semaines.

D'abord ravie, la jeune fille se rappela bien vite de ses engagements, et après un nouvel appel à sa bonne voyante, revint vers son père avec la folle envie d'un avion super-sonique tout aussi pliable que la Bugatti, avec un pilote intégré qui pourrait être plié avec l'avion.

Se pensant enfin débarrassée de la contrainte paternelle, quelle ne fut pas sa surprise quand elle apprit que la prouesse avait été réalisée par la collaboration des laboratoires en robotique, en miniaturisation, en aviation... le tout étant chapeauté par son père.

Au comble du désespoir, la jeune fille fini par passer une nuit entière au téléphone avec la bonne voyante, (à raison de 3€ par minute, je vous laisse imaginer le coût de cette nuit...) qui, heureusement, finit par lui donner une solution qui semblait satisfaisante : demander à son père de lui offrir son jeune assistant – qui était en réalité le seul à travailler depuis des années pour faire fructifier la fortune de son patron – en le mettant à sa disposition permanente et exclusive, ce qui aurait pour effet de provoquer la ruine de son père et donc qu'elle ne pouvait imaginer qu'il accepte. La vielle lui dit encore que si jamais, contre toute attente et disposition des astres, le père acceptait, il faudrait que la jeune fille s'enfuit.

Mais, Madame Izma avait encore vu trouble dans son tarot car le père amoureux, après quelques instants de réflexion accepta d'offrir à sa fille tout ce qu'il avait, en la personne de son assistant, Kuntuni, dont il lui donna immédiatement le numéro de ligne privée avec laquelle il le contactait.

Une fois la nuit venue, elle commença par téléphoner à ce Kuntuni, qu'elle n'avait jamais vu, afin de le remercier et ainsi lui rendre la liberté qu'il avait perdue quelques années auparavant, en se mettant au service de l'homme d'affaire. En échange, elle lui demanda la permission de revêtir son nom pour faciliter sa fuite. Kuntuni accepta sans hésiter, en lui expliquant que c'était un prénom infamant dans sa famille, car il signifiait « âne » en Coréen.

Aussitôt ces démarches accomplies, Kuntuni la-nouvellement-nommée, sauta dans son avion personnel et commanda au pilote robotisé de l'emmener là où son père n'irait pas la chercher. L'avion la mena donc dans un pays très pauvre mais très accueillant, où Kuntuni trouva une place à mi-temps dans une usine qui fabriquait à la chaîne les yeux des poupées du monde entier. Elle n'était pas payée, mais avait le droit de dormir dans un petit local derrière l'usine et dans un pays si pauvre, c'était déjà bien suffisant.  Et comme elle était très discrète et gentille, les autres femmes de l'atelier lui offraient toujours une bouchée ou deux de leur repas.

La chose qui lui manquait le plus dans cette nouvelle vie, c'était ses études. Un jour qu'elle se demandait à quoi pourrait bien lui servir cette Bugatti sur-puissante – elle qui dormait, mangeait et travaillait au même endroit – elle eu une idée : comme elle n'était qu'à mi-temps, et que l'université la plus proche se trouvait à une dizaine de lieue de là, elle pourrait s'y inscrire sous un faux nom et continuer ses études incognito.
C'est ce qu'elle fit, et son plan fonctionna à merveille : elle prit garde de ne pas se faire d'amis, arrivant toujours un peu en retard et partant toujours un peu en avance, elle pouvait ainsi plier et déplier sa Bugatti loin des regards indiscrets.

Or au bout de quelques mois, un jeune intervenant qui s'occupait des cours de mathématiques appliqués, avait remarqué sa beauté et sa science malgré ses apparitions furtives sur les banc des amphithéâtres. Le jeune cadre, qui était curieux, n'en pouvait plus de tant de mystère autour de la jeune fille. Un jour, il la suivit alors qu'elle sortait avant la fin d'un cours et, caché sur le parking, la vit s'enfuir à bord du bolide prodigieux, sorti de nul part.
Kuntuni avait vu qu'elle avait été suivit, mais comme le jeune homme lui plaisait bien, elle fut flattée de cette attention.
Le jeune homme qui était aussi riche qu'ingénieux, vint le lendemain avec sa propre voiture de course et attendit le départ de Kuntuni pour la suivre. Elle réussit néanmoins à le semer juste avant l'entrée dans le quartier pauvre où elle vivait.
Après cette course poursuite, Kuntuni cessa d'aller en cours, de peur d'être démasquée.

Mais ce que notre étudiante ignorait, c'est que l'usine pour laquelle elle travaillait appartenait justement à ce jeune cadre et que tous les habitants du quartier travaillant là, il était facile pour lui d'en déduire qu'elle y travaillait également.

Le jeune homme fut très triste de ne plus voir la belle inconnue sur les bancs de la faculté, d'autant plus que ses parents commençaient sérieusement à le trouver étrange de toujours refuser les filles de leurs amis qu'ils lui présentaient depuis des années, en vain. Et comme il était le dernier né, le seul à n'être pas encore marié et le moins estimé malgré son brillant début de carrière à l'étranger, sa mère l'avait vu revenir au pays d'un mauvais œil et s'impatientait de le caser auprès d'une autre femme.

Un jour il décida d'aller faire un tour dans l'usine d'yeux de poupée afin de voir s'il n'y avait pas sa mystérieuse élève absentéiste. Kuntuni eu très peur quand elle le vit, mais il ne la reconnut pas car elle portait un masque intégral pour ne pas inhaler les vapeurs toxiques dégagées par les plastiques fondus.
Cette recherche infructueuse ne le découragea pas et il annonça le soir même à sa mère : « Comme je vois mère, que mon avenir conjugal vous tient plus à cœur que mon avenir professionnel, sachez que je me suis décidé à demander la main de celle qui parmi les femmes qui travaillent dans l'Usine d'Yeux de Poupée, sera capable de résoudre un problème mathématique de mon choix. »
Comme la mère avait arrêté de se battre contre les folies de son cadet, elle accepta le deal.

À l'annonce de cette nouvelle dans l'Usine, toutes les femmes célibataires, jeunes ou vielles, se précipitèrent dans les librairies (dans lesquels le prix des livres de mathématiques avait subit une inflation sans précédent en une nuit seulement). Et partout entre les machines, les pompes, les broyeuses, on se chuchotait des théorèmes, on récitait ses tables de multiplications, on chantonnait des équations.

Quand le jour du Grand Choix arriva, on avait installé au cœur de l'Usine, une estrade avec un tableau blanc pour la démonstration et notre jeune intellectuel fantaisiste y trônait avec un livre rempli de problèmes tous plus difficiles les un que les autres. Chacune leur tour, les ouvrières passaient et se voyaient dicter l'énoncé, elles avaient ensuite cinq minutes pour le résoudre devant l'assistance. Une chaîne de télé locale était même venue filmer l'événement, tant il était saugrenu.

Toutes les ouvrières passèrent une par une : la majorité abandonnait avant la fin de l'énoncé, car elles n'avaient pas eu le temps d'apprendre des années de connaissances en quelques jours, certaines s’essayèrent à la démonstration mais les cinq petites minutes ne leur furent pas suffisantes pour la mener à terme, on en trouva même une qui avait essayé de tricher en écrivant des formules sur ses avant bras ! La dernière à passer était notre Kuntini qui avait gardé sa blouse de travail intégrale pour ne pas être reconnue sur le champs.

Comme le livre de problèmes utilisé par le jeune homme était celui qu'ils étudiaient en cours, elle n'eut aucun mal à résoudre en quelques minutes le problème qu'il lui imposa, ce qui le mis dans l'embarras, car il n'avait pas reconnu sa belle inconnue, et se vit contraint devant les caméra et sa mère de demander la main à une ouvrière qui devait être si laide qu'elle se cachait sous sa blouse.

Il lui dit alors :
« _ Quel est ton nom, heureuse gagnante du concours ?
_ Je m'appelle Kuntuni, monsieur.
_ Kuntuni ?! C'est impossible ! C'est le nom que j'ai échangé il y a un an avec la fille de mon ancien patron en échange de la liberté !
_ Dans ce cas, appelle moi Morgan. » Dit-elle en retirant sa blouse.

Le jeune homme reconnu alors la jeune fille de sa classe et tous deux comprirent avec stupéfaction qu'ils s'étaient mutuellement délivrés un an plus tôt, dans s'être jamais vus.

Et comme de nos jours, les images font le tour du monde en moins de temps qu'il ne faut pour le conter, le père de Morgane vit la scène en direct sur son smart-phone, (car cette belle happy-end avait fait le buzz chez toutes les ménagères connectées du globe), il se précipita pour rejoindre sa fille et son ancien assistant et leur demander à tout deux des excuses.

En effet, cette année de solitude et de travail (ainsi que quelques heures de voyance par téléphone) lui avaient permis de se rendre compte de la folie qu'il avait eu en demandant sa main à sa propre fille et il s'était repenti d'avoir exploité son pauvre assistant jusqu'à le perdre, il l'aimait comme un fils et fut ravi d'apprendre l'amour des deux jeunes gens.

Les deux amants purent aller au bout de leur ambition professionnelle et, avec des fonds récoltés par les actions de leurs familles respectives, ils se mirent tous les deux au service d'une Organisation Non Gouvernementale s'occupant de la scolarisation des filles dans le monde.
Une école s'ouvrit dans le quartier de l'Usine d'Yeux de Poupée et celles qui avaient montré un don certain pour les mathématiques lors du concours, s'y virent proposer un poste de professeur.
Le père de Morgane rencontra la voyante Izma, qui au vu de sa bonne situation, lui avait révélé qu'elle n'était vielle que sur la photo de son site (plus vendeur lui dit-elle) et qu'elle n'avait en vrai qu'une quarantaine d'années, et, comme les astres le favorisaient, ils tombèrent amoureux et se mirent en couple aussi.
Kuntuni et Morgane vécurent longtemps et firent beaucoup de bien autour d'eux ce qui est la plus grande source de bonheur.

The END.

Le conte est difficile à croire

(à qui le dites vous?!)

Mais tant que le monde on aura des enfants, des mères, des mères grands

et des bibliothèques numérisées sur Internet,

on en gardera la mémoire.