lundi 8 avril 2013


Butin d’une voleuse d’instants

Lundi 14 janvier
Quand on me dit : « La mayonnaise bio, c’est bon pour la santé ! » Mouais. Mais je pense que s’enfiler 2OOg de mayo en une semaine, même bio, c’est pas terrible.

Mardi 15 janvier
Très froid aujourd’hui. Tellement, que si je meurs là, on va me retrouver congelée, intacte, dans 5 millions d’années. Les scientifiques pourront même dire que j’avais un rhume, et donner la composition chimique de mon manteau.

Mercredi 16 janvier
Je n’ai envie de rien. Mais je n’ai pas envie d’avoir envie de rien ! Rhââ ça m’énerve, je me déteste !

Jeudi 17 janvier
Les pâtisseries sont tellement moins chères en province ! Et énormes ! Je me dis qu’il ne faudrait pas que les boulangers viennent à Paris, ça leur donnerait des mauvaises idées…

Vendredi 18 janvier
Je suis toujours en vacances… Il paraît qu’il a neigé, même chez nous, dans le Val d’Oise ! J’ai hâte de voir ça ! J’espère que ça tiendra le temps qu’on rentre, je n’ai pas envie de rater le spectacle et d’avoir juste la bouillasse finale.

Samedi 19 janvier
La neige embellit tout. C’est féerique. Je suis toujours une gamine qui saute les deux pieds joints dans la poudreuse !

Dimanche 20 janvier
Des amies veulent qu’on se promène en forêt pour jouer dans la neige, mais ne sont libres que ce matin. A cause d’elles, j’ai dû me lever à 9h ! Un dimanche ! Faut vraiment que je les adore. D’ailleurs, l’une a dit : « Ce rouge-gorge, c’est mon plus préféré oiseau du monde ! » Décidément, je les adore ! Mais qu’est-ce qu’on s’est gelées, ça n’a pas arrêté de neiger ! On a même croisé un gars qui faisait du ski de fond ! Lorsque je suis rentrée chez moi, les traces de mon départ le matin même avaient disparu…

Lundi 21 janvier
C’est la rentrée ! « Vous savez quelle est la secte des puces ? La secte d’Epicure ! » Franchement sympa ce cours de lexicologie sur les calembours ! Après, on dit que la fac ce n’est pas sérieux …

Mardi 22 janvier
Pour aller au resto U, les zones déneigées forment un labyrinthe noir sur le parvis immaculé de la fac. Tout le monde l’emprunte. Finalement, nous mettons tous nos pas dans ceux de ceux qui nous ont précédés. On peut quitter ces chemins, mais le sol est glissant.

Mercredi 23 janvier
J’ai croisé une jeune femme, au visage hâve et blanc, plus blanc que la neige qui couvre encore les trottoirs de la fac. Elle m’a fait presque peur. Elle m’a regardée de ses yeux trop noirs. Il m’a semblé que cela a duré une éternité, je me demandais ce qu’elle voulait. Autour de son visage, un voile noir, comme un linceul de deuil pour un corps trop pâle, bleui, mort il y a quelques heures.

Jeudi 24 janvier
En attendant le bus près de la fac, je me suis rendu compte qu’autour de moi, la ville était un jeu de « Tétris » géant : là, un immeuble cubique posé à moitié à cheval sur un autre, ici, un bâtiment à l’architecture en sorte de « L » renversé, et là-bas, une longue barre verticale, et encore d’autres, empilées, entassées, sans soin de la part du joueur.

J’arrive devant la fac, humeur grise matinale, quand j’entends un rire au loin. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas qui. Un fou rire énorme, sonore ; et je souris !

Vendredi 25 janvier
Lors de l’appel, des gens manquent. Ils sont partis, je sais. Quittée la fac, quitté Cergy. Pas une adresse, pas un numéro, juste un nom, des conversations et des rires. Juste un nom qui demain ne voudra plus rien dire, si ce n’est dans le souvenir.

Samedi 26 janvier
Cette convention de stage m’énerve ! Je ne comprends rien ! C’est quoi la différence entre le « représentant au sein de l’entreprise », le « médiateur au sein de l’entreprise », et le « tuteur au sein de l’entreprise » ? Pour moi ce sont  les mêmes, non ? Je sens que je vais rater mon coup, mettre du blanc… Sauf que la feuille est bleue, ça va faire tâche…

Lundi 28 janvier
S’il vous plait, si vous offrez un truc moderne à vos grands-parents, expliquez leurs comment ça marche ! Dans le bus, assis en face, un vieil homme avec son portable et écouteur, mais en mode haut-parleur. Personne n’ose rien dire évidemment… Tout le trajet avec du Michel Sardou à fond, et des regards complices morts de rire avec mon voisin de siège.

Mardi 29 janvier
Entendu au détour d’un couloir : « Mais tu sais bien que je suis claustrophile ! » Ha. Donc il y a des gens qui aiment rester coincés dans les ascenseurs, ok…

Mercredi 3O janvier
La pluie tombe en seaux sur les plaques de plexi des salles du dernier étage de la fac. Puis la grêle. Si fort que l’on n’entend plus la prof : c’est la pause forcée de la matinée ! =)

Jeudi 31 janvier
Les immeubles à côté de la fac, que l’on voyait par certaines fenêtres, sont réduits à des tas de gravats informes. Je me rappelle alors un cours d’il y a un mois, à passer l’heure à regarder par la fenêtre les engins jaunes détruire consciencieusement des pans de mur, de leur godet comme des bras de géants ou des dragons placides, mécaniques, inéluctables. Les explosions des immenses plaques grises et sales qui frappent le sol.

Vendredi 01 février
Encore une incursion dans cette bulle, ce monde du silence, cet univers étrange, drôle, intuitif ; cocon solitaire et triste, mais si viscéralement humain qu’est notre cours de langues des signes. J’aime le vendredi après-midi.

Le prof nous demande si on fume du shit. Non. Si on fume tout court. Personne. Si on boit. Très peu de monde, et pas souvent. Après un arrêt, il s’étonne, ne nous croit pas : mais vous êtes jeunes ! Faut s’amuser !


Samedi 02 février
Une amie m’invite à la fête d’une autre.
« Mais tu l’as bien prévenue que je venais ? »
- « Oui oui t’inquiètes, enfin… Je crois… »
Je sens bien le coup « je débarque en mode touriste incrustée » !

Dimanche 03 février
Comment peut-on avoir un enfant ET suivre des cours à la fac ? Franchement ? Je sais que ça existe. Toute la semaine avec ma nièce à garder c’est juste la mort ! Surtout quand elle se met à vous appuyer au hasard sur les touches du clavier en bavouillant son reste de purée de carotte sur votre jean tout neuf, tirant par la même occasion la mèche de cheveux (paix à son âme !) qui passait malencontreusement part là, avec un joyeux « bahbahbahpfffrrrrr » postillonneux !

Lundi 04 février
Un hélicoptère passe au-dessus du campus. Pas un étudiant ne lui prête le moindre regard. « Big Brother’s watching you. » (Orwell, 1984)

Mardi 05 février
Une fille inconnue devant moi a son sac ouvert. Je lui dis ? Je ne lui dis pas ? Je lui dis ? Je ne lui dis pas.

Du bruit. Toujours du bruit. C’est une constante de la physique ici : les bavardages dans les couloirs (notamment le mien !), ceux dans l’amphi pendant que la prof essaie avec plus ou moins de succès de se faire entendre, les rires, les cris, les voitures, les travaux d’à côté, le resto U bondé où l’on fait la queue, la file d’attente si longue qu’on croirait que c’est la guerre, la musique en arrière fond (peut-on appeler des bruits de basses « BOM BOM BOM » de la musique ?), qui me fait penser que ce n’est pas la guerre, non : c’est l’usine ! Le bus, et ses mélanges incompréhensibles et psychédéliques de musiques, crachées des haut-parleurs et de tous les écouteurs environnants. En rentrant chez moi, je n’ai qu’une envie : le silence…

Mercredi 06 février
Les vieux chewing-gums écrasés constellent de tâches claires la lave noire et figée de l’asphalte de la route et de tâches sombres les carreaux clairs de graviers agglutinés de mon arrêt de bus à Cergy préfecture. Yin et yang crado.

Jeudi 07 février
C’est peut-être la troisième fois que je vais à la BU des Chênes 1 depuis que je suis à la fac. J’y suis en terre inconnue : mon domaine, mon repère, ma tanière - comme la plupart des Lettres - ce sont les Cerclades, direction l’Entresol. Ici, je ne trouve jamais le bon ascenseur pour m’y rendre, dans ce dédale et cette ambiance étrange de droit et d’économie. Désolée, c’est pas mon rayon.

Une silencieuse odeur de culture, d’érudition et de travail acharné flotte dans le gigantesque néant trop vide entre moi et le plafond tout là-haut. J’aime la vue imprenable sur le campus et cette lumineuse verrière de hall d’aéroport, aux craquements parfois étranges quand le soleil de l’après-midi dilate les immenses poutres de fer noir.

Vendredi 08 février
Je repense à l’exposition qui a eu lieu cette semaine dans le hall des Chênes 2 : des étudiants présentaient l’archéologie du Val d’Oise. Dans une longue boîte blanche au couvercle de verre, des restes d’un squelette : quelques côtes brunes, un bras et demi, une mâchoire presque édentée, un crâne, ses orbites... Je me demande ce qu’il penserait s’il nous voyait tous aujourd’hui, penchés là au-dessus de lui !

Samedi 09 février
Soirée chez une amie !!! Sur le chemin, en voiture, on hésite sur l’adresse exacte… Là ! Dans la rue regarde ! Des jets de lumières multicolores et volatiles s’envolent par les fenêtres d’une maison en tohu-bohu lumineux. Les autres bâtiments de la rue, eux, s’alignent en enfilades sombres et silencieuses d’yeux fermés. Bon, ça doit être là… Sauf si on se trompe de fête ! Rires.

Il faut croire que personne ne bouge le samedi soir, c’était bien la bonne fête !

Dimanche 10 février
Souvenir de ce que m’a raconté un ami, qui loge en chambre universitaire : Le réveil d’un voisin absent a sonné de 23h à 4h du mat’. Murs en carton. Nuit blanche.

Lundi 11 février
Merde ! Ce matin je me suis rendormie après que mon réveil a sonné ! J’avais prévu plein de choses à faire : ça passe à la trappe de la grasse matinée ! Ordi, vérif’ quotidienne des actualités de la fac : alléluia ! J’ai une sacrée  bonne étoile de dingue aujourd’hui : le prof est absent !

Mardi 12 février
Ce journal « du dehors » fait dans le cadre du cours d’écriture d’invention me donne l’impression d’être une voleuse d’instants. Je prends des bribes entendues, des choses vues, sans que les gens le sachent. Je m’empare des morceaux d’eux-mêmes pour les consigner ici, sans leur autorisation. Est-ce que la vie est copyright ?

Le midi, avec une amie au resto U, nous sommes parfois obligées de partager notre espace vital de table avec d’autres étudiants. Parfois aussi, c’est la guerre des brocs d’eau : il n’y en aura pas pour tout le monde ! A l’affût, le regard qui décortique les situations : plateau-terminé-manteau-mis-portefeuille-rangé-sortage-de-clope-de-la-poche : ceux-là vont quitter leur territoire ! C’est le moment de passer à l’attaque avant la pimbêche prête à bondir là-bas ! Et hop ! Mon amie revient victorieuse : on a de l’eau cette fois !

Mercredi 13 février
Discussion happée au vol, de deux gars entendus près de la Tour des Chênes :
« Si elle sait ça, elle va me traîner en justice ! »
- « Ha ouais mais carrément ! »
- « J’espère qu’elle est pas en droit tiens, ce serait encore pire ! »
- « Bin si, je crois justement … »
- « Merde ! J’espère qu’elle est nulle alors, t’sais qu’elle prend pas les cours quoi ! »
Fous rires.

Anachronisme du matin : j’arrive à la fac, tiens la porte à la personne qui entre derrière moi : un tricorne à plume, une cape de feutre noire qui vole dans le vent. Hein ?

Jeudi 14 février
La migration pendulaire des étudiants tous les matins. Prise dans le flot des moutons noirs, têtes baissées, emmitouflés, le cerveau encore au chaud sous la couette.

Vendredi 15 février
Je livre ici la tactique secrète du CRL -Centre de Ressources Linguistiques- (par ailleurs connue de tout bon étudiant qui se respecte) : toujours choisir un des ordis cachés derrière la colonne blanche au milieu de la pièce, afin que le surveillant ne voie pas votre écran, et en profiter pour faire… Autre chose que le CRL !!!

Samedi 16 février
Il y a tellement de monde qui grouille d’habitude sur le campus des Chênes. Le silence sourd qui emplit le ciel bleu ce matin ne fait que préfigurer le partiel de langue des signes qui nous attend.  Un étudiant à la fac le samedi matin, c’est tellement rare, que les gardes qui circulent parfois ont déjà demandé à certains d’entre nous leur carte d’étudiant !

Dimanche 17 février
On me demande : « Et toi, tu fais quoi maintenant ? »
- « Je suis à la fac, en Lettres Modernes. »
Attention, je vous le donne en mille ! J’aurais dû parier, j’aurais gagné, comme toutes les autres fois d’ailleurs :
« Ha… Hein ? Mais… Pour faire quoi ? »

Lundi 18 février
Pour monter dans le bus, c’est toujours la même guerre : même si vous n’avez pas envie de jouer les bêtes sauvages, on vous pousse, on vous bouscule ; vous vous retrouvez coincé et compressé dans le flot qui se presse d’être avalé par les portes de verre. Je dis « bonjour », le chauffeur se retourne surpris : eh oui ! Le troupeau oubli vite son vocabulaire, ou sa politesse ! Les premiers arrivés peuvent se targuer d’avoir une des royales places assises : de quoi fermer les yeux et continuer sa nuit… Coincée entre la vitre et une doudoune obèse, je ne déroge d’ailleurs pas à la règle. Et encore, le matin, c’est calme, et on n’a pas à subir les OVNI (Odeurs Visqueuses Non Identifiées) de la fin d’après-midi. Seule la buée épaisse comme un gel glauque se dépose petit à petit sur les vitres, ne vous laissant même pas profiter de la vue du trajet, entre camps de caravanes, décharges et zones industrielles…

Mardi 19 février
J’aime nos néologismes étudiants du genre « studioter » (quand l’un rentre à son studio), « busser » (lorsqu’on va prendre notre bus). Et aussi les débats du genre : « Mourir est-il un verbe perfectif ou imperfectif ? », « On dit : lors de ce cours, je suis mort en deux secondes, ou je suis mort pendant deux heures ? »

Mercredi 2O février
Entendre deux étudiants parler entre eux une langue qui m’est inconnue. Peut-être de l’arabe ? Je n’y connais rien, je n’en sais rien. Ça me fait rire lorsqu’au milieu du flot de notes dansantes et virevoltantes, je capte au vol un « Facebook », un « m’fait chier » ou un « Cergy pref’ » !

Jeudi 21 février
J’ai rendez-vous ce midi avec le professeur qui sera mon tuteur de stage, cette année. Dans son bureau, je le trouve avec un sandwich de chez Show Gourmand, et une boîte Tupperware. En fait, je réalise, comme quand j’en croise aussi au resto U ou au Auchan des 3Fontaines, que les profs sont humains. Ils ont leur vie en dehors des cours ! Pure évidence me direz-vous, mais on n’y pense pourtant pas !

Vendredi 22 février
L’odeur des alentours de la gare de Cergy préfecture. Miasmes immondes qui s’attaquent violemment à mes narines dès que je descends du bus de 7h. Mélange d’essence, d’huile de moteur, de mécanique chaude, de pisse, d’eau croupie, de pluie sur le bitume, de boue, de chien mouillé, de fruits trop mûrs, d’épices, d’encens, de parfum, de sueur ; mixture odoriférante de saletés innommables et suffocantes. Le tout étrangement embaumé dans une douceur sucrée qui me rappelle un bonbon  de mon enfance. Ou un produit nettoyant peut-être. Et le tout encore plongé dans le noir du matin d’hiver, les tréfonds noirs du plafond, les tuyaux noirs de crasse, le sol noir du bitume, la poussière noire des échappements des bus, et les manteaux noirs des passants. Seules quelques diodes d’un bleu-violet électrique et agressif dessinent des airs de boîte de nuit minable et mal famée sur les murs. Je déteste ce lieu ! Je le vomis du plus profond de moi-même. Je sors de là le plus vite possible, je ne regarde même plus, je ne sens même plus, sauf quand c’est insoutenable, sauf quand j’y prête encore attention.

Samedi 23 février
Avec une amie, on refait le monde. On se fait un « plan de vie » parfait : d’abord : 1) Gagner au loto 2) Faire toutes les licences qui nous intéressent, puis 3) Passer aux masters. Travailler ? C’est quoi ça ? Non non, pas besoin ! ^^

Dimanche 24 février
Trois garçons et une fille discutent à côté de moi dans le bus.
Premier garçon : « Je déteste les araignées ‘tain j’suis trop phobique ! »
Deuxième : « Mais tu sais pas qu’les araignées en France, y en a aucune qu’est dangereuse ! » La fille : « Non mais ça va, j’crois qu’il est pas si con quand même ! »
A nouveau le deuxième garçon, ironiquement : « Ha bon, j’aurais cru ! »
Troisième garçon : « Ho daaaar ! Ça c’est fait ! »
Fous rires.

Lundi 25 février
Aujourd’hui, notre prof nous raconte qu’il était absent depuis deux semaines parce qu’il s’était juste déchiré la jambe entre le marchepied et le quai du RER. Je ne sais pas comment il a fait ça, mais il est très fort ! (Et, accessoirement, ça doit faire trèèès mal ! )

Mardi 26 février
Quand des voisins de table au resto U ont un volume sonore de 150 décibels et des rires de 2OO, qu’ils se balancent leurs pots de yaourt vides, et que l’un à la framboise ramène sa fraise dans l’assiette de mon amie... On n’a vraiment pas envie de se faire des amis !

Lecture à voix haute dans un amphi complet : cœur qui bat, souffle coupé, mains moites, champ de vision restreint, voix tremblante mais valeureusement masquée. Ouf, c’est fini ! …Je ne me souviens même pas de ce que j’ai lu !

Mercredi 27 février
J’ai eu dans ma boîte mail il y a quelques jours un message d’avertissement à tous les étudiants. Il y a une série de vol d’appareils électriques (portable, PC, tablette …) dans les BU. Le suspect correspond toujours au même portrait type, qui est donné. Il procède toujours au même mode opératoire, qui est précisé aussi. Quand le fait divers fait irruption dans la vie de tous les jours, le mystère plane sur le quotidien…

Jeudi 28 février
Impossible de passer incognito un jeudi midi à Cergy Préfecture ! En dix minutes, j’ai croisé six étudiants qui sont avec moi en Lettres Modernes ! Chacun part à la chasse du déjeuner : resto U, cafèt’ des Chênes, Show Gourmand, sandwich de chez Auchan, Pomme de Pin, Saveur Patate, Mille Pâtes, chinois, grec, kebab, La Croissanterie, japonais, Subway, etc. Ou bien « popote » faite maison, ramenée dans un sac plastique pour éviter de salir ses livres. On n’a que l’embarras du choix…

Vendredi 1er mars
Déjà, la grammaire, à la fac, ce n’est pas de la rigolade (Non non, je vous jure, étudier la temporalité, l’aspect et le procès d’un verbe selon son contexte, ce n’est pas de la tarte)! Mais si on se met à voir la grammaire en langue des signes, là je dis non, stop, ce n’est pas possible là !
Pourquoi faut-il signer « Hier pomme je manger fini » pour dire « hier j’ai mangé une pomme » ? Pourquoi est-ce si compliqué ?

Samedi 02 mars
Je suis allée à la bibliothèque de ma ville, et à l’accueil, il y a deux élèves en plein stage de troisième. Je me revois, exactement à la même place, 6 ans auparavant. Ils me paraissent tout mignons, tout jeunes, tout timides, tout petits, là, derrière leur immense bureau.  Le moi d’aujourd’hui parle avec la chef de la bibliothèque et tient la conversation comme une adulte : je réponds, interroge, ris. Je leur parle aussi à eux, d’un air bienveillant, je les encourage. Le moi d’hier que je revois est comme eux, le regard bas, en essayant de se faire le plus petit possible, cogitant intensément et prenant son courage  à deux mains à chaque question, pour enfin répondre d’une toute petite voix. Les voir me renvoie à moi-même. Je n’ai pas l’impression d’avoir vieilli, non, j’ai grandi.

Dimanche 03 mars
Tweet d’un dessinateur que je suis sur Twitter : « L’imagination est une ivresse, la réalité est sa gueule de bois. »

Lundi 04 mars
Aujourd’hui, je commence à mettre au propre ce journal ainsi que tous les autres textes de l’atelier d’écriture d’invention. J’ai une semaine de vacances. Tous ça à faire + DM de grammaire + dissertation de littérature du XVIIeme siècle + 30 heures de stage. Je sens que ces « vacances » ne seront pas une partie de plaisir…

Mardi 05 mars
Les quarante minutes de trajet en bus pour aller jusqu’à la fac me manquent presque. Pour mon stage, je vais en dix minutes à pied à la bibliothèque de ma ville : ça ne permet ni lecture, ni travail de dernière minute sur les genoux…

Mercredi 06 mars
On pourrait créer des milliers de personnages avec leurs personnalités propres, rien qu’en regardant un peu le monde. J’aime être au public à la bibliothèque, et rencontrer le couple d’échevelés babas-cool qui a « emprunté Zadig de Voltaaaire », mais ne savent « pluuus bien [s’ils l’ont] renduuu ou paaaas, quoi ». Il y a aussi la dame forte aux cheveux rouge qui hurle presque : « Tiens y’a un concours de nouvelles ?! Et y’a pas assez de participants ? S’tu veux j’t’envoie deux-trois merdes perso, histoire d’augmenter les stat ! ». Et n’oublions pas les ado girly : « On fait un exposé sur… Euh, Euclide. Vous avez des trucs sur Euclide ? Hihi j’ai fait tout l’tour de la ville sur l’vélo de Matt’ c’est juste trop dingue hihihi », ni les mamies qui ne vous accordent même pas un regard, parce que vous êtes la p’tite nouvelle de la bibliothèque…

Vendredi 08 mars
J’en ai assez de ne faire que lire, lire et lire des livres pour la fac ! On a même plus le temps de se faire plaisir ! Et à voir tous ces livres sous mon nez, j’ai craqué, j’en ai pris quelques-uns… J’espère que j’aurais le temps de les lire cette fois…

Samedi 09 mars
Dernier jour de stage ! Me lever tôt le samedi matin me rappelle les jours de partiels à la fac… Qui arrivent à grands pas !

Dimanche 10 mars
Passage hebdomadaire sur ma boîte mail : mail d’un ami à propos d’un boulot à la fac, mail d’une amie à propos d’un devoir collectif en espagnol, mail d’une autre à propos d’un cours raté à récupérer, mail d’une professeur, mail du CROUS, et mail de la fac elle-même… La vache ! Mais la fac, c’est vraiment toute ma vie on dirait !

Lise Bonneville