vendredi 19 février 2016

Atelier d'écriture sur écrans avec des jeunes de 15/17 ans - par Céline Cottaz & Virginie Gautier

Atelier d'écriture avec des jeunes de 15/17 ans,
intervention au sein du lycée
 Céline Cottaz & Virginie Gautier

>sortir du cadre scolaire et amorcer l'écriture dans la ville
>salle CDI, tables en petits îlots
>règles : Ecrire est un acte personnel. Attentif à cette intimité de chacun, même dans le travail collectif. Lecture, écoute, bienveillance. Echange sans jugement ni moquerie. Soyons constructif. Peut-être allons nous nous surprendre.


Objectif : Par l'écrit, amener les adolescents à poser un regard sensible sur leur environnement quotidien. Dans l'ordinaire trouver du singulier.
-Les faire inventer à partir de leur quotidien.
-Proposer une attitude d'exploration face à la production littéraire. L'écrit comme outil de découverte pour articuler ici et ailleurs, espace réel et imaginaire, singulier et collectif.


Trois séances à suivre pendant 3 jours (2h/jour) : immersion


1ère séance : 2h

1er temps (1h) « Collecte de perceptions, d'impressions et de signes dans la rue, une notation pas case » On n'est pas obligé de faire des phrases. (Idée de la notation : feuille A4 divisées en cases (6) recto/verso, une perception par case) (Peut-on prendre ses notes sur le tél portable?)

2ème temps (30mn) : « A la façon d'un instantané (Snapchat est une application de partage de photos et de vidéos disponible sur plates-formes mobiles de type iOS et Android.), proposez un ou plusieurs récits brefs, qui fassent images, à partir de vos notations »par îlots. (30mn)
>Consignes stylistiques : Textes courts, 10 lignes max. Vous écrirez vos textes au présent.

3ème temps (30mn) : « qu'est ce qu'on voit/ressent/entend de la ville, à l'écoute de vos textes ? lectures et partages.


2ème séance : 2h

1er temps (20mn) : Lectures courtes de textes littéraires (Haïku / Leslie Kaplan / Georges Perec / Jacques Roubaud cf. extraits en page 3, 4)

2ème temps (1h) : « Copiez-collez-transformez : recomposez un texte collectif, qui peut comporter une dimension absurde ou humoristique, à partir des fragments de la semaine dernière, 3 propositions différents par groupe ». Travail en petits groupes de 2/3 personnes sur l'ordinateur. Les textes d'origine servent de matériaux pour ré-écrire, ils sont tapés, puis copiés-collés, mélangés.
>Le collectif : Permet d'échanger autour de ce qu'on veut produire comme effet. Travail sur les formes du mélange, du collage littéraire.
>Consigne intermédiaire : Un de vos collages doit comporter une dimension visuelle : mise en forme du texte. (Ne pas en dire plus, ils cherchent. Ils explorent).

3ème temps (40mn) : Impression des textes. Lectures/ échanges & accrochage des poèmes mis en forme (sur un grand fil à linge, un panneau d'affichage, ou projection). Montrer le texte de Lucien Suel / Apollinaire / Calligrammes) (cf. page 5,6).


3ème et dernière séance  : 2h

1er temps (20mn) : Visite du site « Dreamlands » d'Olivier Hodasava (voyages imaginés à partir de Google street view, cf. page 5) Idée du pays d'origine, de la frontière...

2ème temps (1h) : « Arrivée en terre inconnue, à partir de Google street view, proposez un récit imaginé de votre premier contact avec un nouveau pays/lieu/site urbain ou naturel... »  Vous écrirez en regard du lieu choisit. L'image figurera à côté de votre texte. Capture d’écran
> La poétique de la carte est un support d'imagination.
> Consigne stylistique : Commencez votre texte par une série de « Il y a », à la manière de Guillaume Apollinaire, (10 fois par exemple) puis recentrez sur le personnage (« il, elle ou je »).


3ème temps (40mn) : lectures et échanges. Qu'est-ce que l'image, la carte, Google street a t-il apporté à l'écriture ? Approche du lieu, modification de la perspective, du point de vue... Les lieux connus, les lieux imaginés, imaginaires (suite possible).


Possibilité à l'issue des trois jours de réunir les pages sous forme d'un carnet de voyage

Retours du 4/02/16

1/L'atelier sera résolument axé autour des technologies numériques, surtout celles utilisées par les ados, à chacune des étapes, puisque notre souhait est d'insérer de l'écriture littéraire dans les écritures quotidiennes (réseaux sociaux : sms, facebook,  snapchat...)

>le téléphone portable sert à prendre des notes, écrire dans la rue.
>l'ordinateur sert à fragmenter le texte et à jouer à « copier-coller-transformer »
puis permet le travail sur la spatialisation : logiciel de traitement de texte pour jouer sur l'alignement, la taille des mots, la typographie, les blancs etc.
>internet permet de visiter des sites d'écrivains, en l'occurrence celui d'Olivier Hodasava, puis il sert de support de travail. Les ados y puisent eux-même les ressources de l'écriture : captures d'écran (Google street view), etc.
>possibilité d'imaginer un support virtuel, type blog, qui soit évolutif, consultable en ligne, pour accueillir le travail au fur et à mesure.

Il y a, très souvent dans les établissements scolaires des écrans présents dans les lieux d’accueil des élèves (informations, mises en valeurs de projets), sur lesquels on peut imaginer qu’apparaît cette traversée de langue et de territoires.

Hélène a questionné la possibilité de partir du snapchat lui-même, de la photo, et de la phrase qui l’accompagne. Nous n’avons pas retenu cette proposition mais cela reste une possibilité intéressante. On peut questionner le rapport entre écrit et photo ; la question soulevée par le snapchat est celle de l’éphémère. Qu’est-ce qui est saisi ? Donc qu’est-ce qui échappe ?

2/Ajout de consignes intermédiaires pour faciliter l'écriture, et permettre aux ados d'entrer dans le travail de la langue afin que le « je » se construise à partir des « jeux » de l'écriture et se dissocie du « je » spontané de l'expression de soi sur les réseaux sociaux.

Il s’agit par ce biais là de faciliter le passage à l’écrit de jeunes qui ne veulent pas parler d’eux quand il se trouve face à l’atelier d’écriture, dans ce cadre là. Alors qu’ils le font volontiers sur les réseaux sociaux. Faire réfléchir sur la langue, pas forcément et seulement sur son référent. Quand le langage devient son propre référent. Dimension graphique et sonore des mots.

>consigne intermédiaire pour la 1ère séance : être attentifs aux verbes, proposer éventuellement une liste de verbes d'action, de déplacements à insérer dans les récits.
>consignes intermédiaire pour la 2ème séance :
1ère étape : le Centon (éléments repris et ré-arrangés) vous mêlez vos textes et ceux des auteurs proposés (Kaplan, Roubaud, Perec...). On travaille sur l'intertextualité. On désacralise le texte des Auteurs. L’atelier se permet de dévoyer les textes des auteurs pour les mettre au même niveau que ceux des jeunes.
2ème étape : Développer l'idée que la marche se prolonge dans la langue en proposant des petits jeux de « caviardages » avec lectures à voix haute : lire un mot sur deux / barrer des phrases au feutre / faire des copié-collé au hasard... Qu'est ce que ça donne ?

La question a été soulevée de l’absurde, ou de l’humour. Nous ne l’avions pas pensé comme une finalité mais comme une possibilité, un lieu d’exploration possible de la langue, pour que les jeunes ne s’empêchent pas de sortir parfois de sentiers balisés, et se laissent surprendre par des rapprochements incongrus dans la langue. Qu’ils s’autorisent le non-sens, le bizarre, l’étrange.

Extraits

Haïkus, Issa, Basho (17ème)...

Me suis retourné
Mais déjà passait la belle
Là-bas sous les saules.



La fraîcheur
J'en fais ma demeure
Et m'assoupis.

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Leslie KAPLAN « L'excès-l'usine » (1994) & « Le Livre des Ciels » (1984)

« On est dehors. On est descendue du train, on attend le car.
Les immeubles vont et viennent. L'air respire, il y a des souf-
fles. Les portes s'ouvrent, les portes s'ouvrent partout, on
passe, on passe. »

« La péniche est arrivée au pont. L'air bouge un peu. On
regarde le petit bateau, son bois rouge et jaune. L'eau est
beue, très loin. »

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Des femmes passent, très belles, avec leur veste sur les épaules. Je vois leur air étonné, leurs colliers en or.

Il traverse la rue en balançant un sac, il danse un peu. Sa bouche est fermée autour de la cigarette.
Les femmes le regardent, sérieuses.

Au loin, un immeuble inachevé, une construction.
Les fenêtres sont dessinées, des trous.

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Georges PEREC, « Tentative d'épuisement d'un lieu parisien » (1983)

Couleurs :
rouge (Fiat, robe, St-Raphaël, sens uniques)
sac bleu
chaussures vertes
imperméable vert
taxi bleu.


J’ai revu des autobus, des taxis, des voitures particulières, des cars de touristes, des ca- mions et des camionnettes, des vélos, des vélomoteurs, des vespas, des motos, un triporteur des postes, une moto-école, une auto-école, des élégantes, des vieux-beaux, des vieux couples, des bandes d’enfants, des gens à sacs, à sacoches, à valises, à chiens, à pipes, à parapluie, à be- daines, des vieilles peaux, des vieux cons, des jeunes cons, des flâneurs, des livreurs, des ren- frognés, des discoureurs.

« Mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été de décrire le reste : ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance : ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages. »


Jacques ROUBAUD, « La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains. » (1991-1998)
[Arrondissements, Sacré-Cœur !...]

Poème de tour Eiffel
Tour Eiffel ! je suis venu pour voir
Et je vois
Mais voir ce qu’on voit n’est pas si facile
En mots qui n’ont qu’une demi-douzaine de référents
Au mieux
Ce que je pourrais dire que je vois ne fait pas le poids
Devant ce que je vois que je n’ai pas dit
Et ne dirai pas ne sachant comment dire
Ce que d’ailleurs je ne peux pas montrer non pus
Tour Eiffel ! je ne te vois pas
Toi que je suis venu voir afin de dire ce voir
Dans le cadre de ma campagne de poésie
J’estime que cela fait partie de mon devoir
de poète
il serait difficile en effet
de dire de Paris sans dire de la tour
Apollinaire lui-même…




Lucien SUEL, « Je suis debout » 2014, « Les terrils »






Guillaume APOLLINAIRE, Calligrammes. (1913-1916)



Site d'Olivier HODASAVA, « Dreamlands, virtual tour »

Il y a

    Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée
    Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venant on dirait des asticots dont naîtraient les étoiles
    Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
    Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d'obus autour de moi
    Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants
    Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Gœthe et de Cologne
    Il y a que je languis après une lettre qui tarde
    Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour
    Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète
    Il y a une batterie dont les servants s'agitent autour des pièces
    Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l'Arbre isolé
    Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme l'horizon dont il s'est indignement revêtu et avec quoi il se confond
    Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour
    Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur l'Atlantique
    Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour les cercueils
    Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant unChrist sanglant à Mexico
    Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant
    Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres
    Il y a des croix partout de-ci de-là
    Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie
    Il y a les longues mains souples de mon amour
    Il y a un encrier que j'avais fait dans une fusée de 15 centimètreset qu'on n'a pas laissé partir
    Il y a ma selle exposée à la pluie
    Il y a les fleuves qui ne remontent pas leur cours
    Il y a l'amour qui m'entraîne avec douceur
    Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos
    Il y a des hommes dans le monde qui n'ont jamais été à la guerre
    Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales
    Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s'ils les reverront
    Car on a poussé très loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité

Guillaume Apollinaire(1880 – 1918)