Atelier
d'écriture avec des jeunes de 15/17 ans,
intervention au
sein du lycée
>sortir du cadre scolaire
et amorcer l'écriture dans la ville
>salle CDI, tables en
petits îlots
>règles : Ecrire est
un acte personnel. Attentif à cette intimité de chacun, même dans le travail
collectif. Lecture, écoute, bienveillance. Echange sans jugement ni moquerie.
Soyons constructif. Peut-être allons nous nous surprendre.
Objectif : Par
l'écrit, amener les adolescents à poser un regard sensible sur leur
environnement quotidien. Dans l'ordinaire trouver du singulier.
-Les faire inventer à partir
de leur quotidien.
-Proposer une attitude
d'exploration face à la production littéraire. L'écrit comme outil de
découverte pour articuler ici et ailleurs, espace réel et imaginaire,
singulier et collectif.
Trois séances à suivre
pendant 3 jours (2h/jour) : immersion
1ère séance : 2h
1er temps (1h) : « Collecte
de perceptions, d'impressions et de signes dans la rue, une notation pas case »
On n'est pas obligé de faire des phrases. (Idée de la notation : feuille
A4 divisées en cases (6) recto/verso, une perception par case) (Peut-on
prendre ses notes sur le tél portable?)
2ème temps (30mn) :
« A la façon d'un instantané (Snapchat
est une application de partage de photos et de vidéos disponible sur
plates-formes mobiles de type iOS et Android.), proposez un ou
plusieurs récits brefs, qui fassent images, à partir de vos notations »par
îlots. (30mn)
>Consignes stylistiques :
Textes courts, 10 lignes max. Vous écrirez vos textes au présent.
3ème temps (30mn) :
« qu'est ce qu'on voit/ressent/entend de la ville, à l'écoute de vos
textes ? lectures et partages.
2ème séance : 2h
1er temps (20mn) :
Lectures courtes de textes littéraires (Haïku / Leslie Kaplan / Georges
Perec / Jacques Roubaud cf. extraits en page 3, 4)
2ème temps (1h) : « Copiez-collez-transformez :
recomposez un texte collectif, qui peut comporter une dimension absurde ou
humoristique, à partir des fragments de la semaine dernière, 3 propositions
différents par groupe ». Travail en petits groupes de 2/3 personnes
sur l'ordinateur. Les textes d'origine servent de matériaux pour ré-écrire, ils
sont tapés, puis copiés-collés, mélangés.
>Le collectif :
Permet d'échanger autour de ce qu'on veut produire comme effet. Travail sur les
formes du mélange, du collage littéraire.
>Consigne intermédiaire :
Un de vos collages doit comporter une dimension visuelle : mise en forme
du texte. (Ne pas en dire plus, ils cherchent. Ils explorent).
3ème temps (40mn) :
Impression des textes. Lectures/ échanges & accrochage des poèmes mis en
forme (sur un grand fil à linge, un panneau d'affichage, ou projection).
Montrer le texte de Lucien Suel / Apollinaire / Calligrammes) (cf. page
5,6).
3ème et dernière séance
: 2h
1er temps (20mn) :
Visite du site « Dreamlands » d'Olivier Hodasava
(voyages imaginés à partir de Google street view, cf. page 5) Idée du pays
d'origine, de la frontière...
2ème temps (1h) : « Arrivée
en terre inconnue, à partir de Google street view, proposez un récit imaginé de
votre premier contact avec un nouveau pays/lieu/site urbain ou
naturel... » Vous écrirez
en regard du lieu choisit. L'image figurera à côté de votre texte. Capture
d’écran
> La poétique de la
carte est un support d'imagination.
> Consigne stylistique
: Commencez votre texte par une série de « Il y a », à la manière de
Guillaume Apollinaire, (10 fois par exemple) puis recentrez sur le personnage
(« il, elle ou je »).
3ème temps (40mn) :
lectures et échanges. Qu'est-ce que l'image, la carte, Google street a t-il
apporté à l'écriture ? Approche du lieu, modification de la perspective, du
point de vue... Les lieux connus, les lieux imaginés, imaginaires (suite
possible).
Possibilité à l'issue
des trois jours de réunir les pages sous forme d'un carnet de voyage
Retours
du 4/02/16
1/L'atelier sera
résolument axé autour des technologies numériques, surtout celles utilisées par
les ados, à chacune des étapes, puisque notre souhait est d'insérer de
l'écriture littéraire dans les écritures quotidiennes (réseaux sociaux : sms,
facebook, snapchat...)
>le téléphone portable sert à prendre des notes, écrire dans la rue.
>l'ordinateur sert à fragmenter le texte et à jouer à
« copier-coller-transformer »
puis permet le travail sur la spatialisation : logiciel de traitement de
texte pour jouer sur l'alignement, la taille des mots, la typographie, les
blancs etc.
>internet permet de visiter des sites d'écrivains, en l'occurrence
celui d'Olivier Hodasava, puis il sert de support de travail. Les ados y
puisent eux-même les ressources de l'écriture : captures d'écran (Google street
view), etc.
>possibilité d'imaginer un support virtuel, type blog, qui soit
évolutif, consultable en ligne, pour accueillir le travail au fur et à mesure.
Il y a, très souvent dans les établissements scolaires des écrans
présents dans les lieux d’accueil des élèves (informations, mises en valeurs de
projets), sur lesquels on peut imaginer qu’apparaît cette traversée de langue
et de territoires.
Hélène a questionné la possibilité de partir du snapchat lui-même, de la
photo, et de la phrase qui l’accompagne. Nous n’avons pas retenu cette
proposition mais cela reste une possibilité intéressante. On peut questionner
le rapport entre écrit et photo ; la question soulevée par le snapchat est
celle de l’éphémère. Qu’est-ce qui est saisi ? Donc qu’est-ce qui
échappe ?
2/Ajout de consignes
intermédiaires pour faciliter l'écriture, et permettre aux ados d'entrer dans
le travail de la langue afin que le « je » se construise à partir des
« jeux » de l'écriture et se dissocie du « je » spontané de
l'expression de soi sur les réseaux sociaux.
Il s’agit par ce biais là de faciliter le passage à l’écrit de jeunes qui
ne veulent pas parler d’eux quand il se trouve face à l’atelier d’écriture,
dans ce cadre là. Alors qu’ils le font volontiers sur les réseaux sociaux.
Faire réfléchir sur la langue, pas forcément et seulement sur son référent.
Quand le langage devient son propre référent. Dimension graphique et sonore des
mots.
>consigne intermédiaire pour la 1ère séance : être attentifs
aux verbes, proposer éventuellement une liste de verbes d'action, de
déplacements à insérer dans les récits.
>consignes intermédiaire pour la 2ème séance :
1ère étape : le Centon
(éléments repris et ré-arrangés) vous mêlez vos textes et ceux des auteurs
proposés (Kaplan, Roubaud, Perec...). On travaille sur l'intertextualité. On
désacralise le texte des Auteurs. L’atelier se permet de dévoyer les textes des
auteurs pour les mettre au même niveau que ceux des jeunes.
2ème étape :
Développer l'idée que la marche se prolonge dans la langue en proposant des
petits jeux de « caviardages » avec lectures à voix haute : lire un
mot sur deux / barrer des phrases au feutre / faire des copié-collé au
hasard... Qu'est ce que ça donne ?
La question a été soulevée de l’absurde, ou de l’humour. Nous ne l’avions
pas pensé comme une finalité mais comme une possibilité, un lieu d’exploration
possible de la langue, pour que les jeunes ne s’empêchent pas de sortir parfois
de sentiers balisés, et se laissent surprendre par des rapprochements incongrus
dans la langue. Qu’ils s’autorisent le non-sens, le bizarre, l’étrange.
Extraits
Haïkus, Issa, Basho
(17ème)...
Me suis
retourné
Mais déjà
passait la belle
Là-bas
sous les saules.
La
fraîcheur
J'en fais
ma demeure
Et
m'assoupis.
_____________________________________
Leslie
KAPLAN « L'excès-l'usine » (1994) &
« Le Livre des Ciels » (1984)
« On
est dehors. On est descendue du train, on attend le car.
Les
immeubles vont et viennent. L'air respire, il y a des souf-
fles. Les
portes s'ouvrent, les portes s'ouvrent partout, on
passe, on
passe. »
« La
péniche est arrivée au pont. L'air bouge un peu. On
regarde le
petit bateau, son bois rouge et jaune. L'eau est
beue, très
loin. »
________________________________
Des femmes
passent, très belles, avec leur veste sur les épaules. Je vois leur air étonné,
leurs colliers en or.
Il
traverse la rue en balançant un sac, il danse un peu. Sa bouche est fermée
autour de la cigarette.
Les femmes
le regardent, sérieuses.
Au loin,
un immeuble inachevé, une construction.
Les
fenêtres sont dessinées, des trous.
___________________________________
Georges
PEREC, « Tentative d'épuisement d'un lieu parisien » (1983)
Couleurs :
rouge (Fiat, robe, St-Raphaël, sens uniques)
sac bleu
chaussures vertes
imperméable vert
taxi bleu.
J’ai revu des autobus, des taxis, des voitures
particulières, des cars de touristes, des ca- mions et des camionnettes, des
vélos, des vélomoteurs, des vespas, des motos, un triporteur des postes, une
moto-école, une auto-école, des élégantes, des vieux-beaux, des vieux
couples, des bandes d’enfants, des gens à sacs, à sacoches, à valises, à
chiens, à pipes, à parapluie, à be- daines, des vieilles peaux, des vieux
cons, des jeunes cons, des flâneurs, des livreurs, des ren- frognés, des
discoureurs.
« Mon propos dans les
pages qui suivent a plutôt été de décrire le reste : ce que l’on ne note
généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance :
ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des
voitures et des nuages. »
Jacques
ROUBAUD, « La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des
humains. » (1991-1998)
[Arrondissements, Sacré-Cœur !...]
Poème de tour
Eiffel
Tour
Eiffel ! je suis venu pour voir
Et je
vois
Mais
voir ce qu’on voit n’est pas si facile
En
mots qui n’ont qu’une demi-douzaine de référents
Au
mieux
Ce
que je pourrais dire que je vois ne fait pas le poids
Devant
ce que je vois que je n’ai pas dit
Et ne
dirai pas ne sachant comment dire
Ce
que d’ailleurs je ne peux pas montrer non pus
Tour
Eiffel ! je ne te vois pas
Toi
que je suis venu voir afin de dire ce voir
Dans
le cadre de ma campagne de poésie
J’estime
que cela fait partie de mon devoir
de
poète
il
serait difficile en effet
de
dire de Paris sans dire de la tour
Apollinaire
lui-même…
Lucien
SUEL, « Je suis debout » 2014, « Les terrils »
Guillaume
APOLLINAIRE, Calligrammes. (1913-1916)
Site d'Olivier
HODASAVA, « Dreamlands, virtual tour »
Il y a
Il y a un
vaisseau qui a emporté ma bien-aimée
Il y a dans le
ciel six saucisses et la nuit venant on dirait des asticots dont naîtraient les
étoiles
Il y a un
sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
Il y a mille
petits sapins brisés par les éclats d'obus autour de moi
Il y a un
fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants
Il y a que nous
avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Gœthe et de Cologne
Il y a que je
languis après une lettre qui tarde
Il y a dans mon
porte-cartes plusieurs photos de mon amour
Il y a les
prisonniers qui passent la mine inquiète
Il y a une
batterie dont les servants s'agitent autour des pièces
Il y a le
vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l'Arbre isolé
Il y a dit-on un
espion qui rôde par ici invisible comme l'horizon dont il s'est indignement
revêtu et avec quoi il se confond
Il y a dressé
comme un lys le buste de mon amour
Il y a un
capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur
l'Atlantique
Il y a à minuit
des soldats qui scient des planches pour les cercueils
Il y a des
femmes qui demandent du maïs à grands cris devant unChrist sanglant à Mexico
Il y a le Gulf
Stream qui est si tiède et si bienfaisant
Il y a un
cimetière plein de croix à 5 kilomètres
Il y a des croix
partout de-ci de-là
Il y a des
figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie
Il y a les
longues mains souples de mon amour
Il y a un
encrier que j'avais fait dans une fusée de 15 centimètreset qu'on n'a pas
laissé partir
Il y a ma selle
exposée à la pluie
Il y a les
fleuves qui ne remontent pas leur cours
Il y a l'amour
qui m'entraîne avec douceur
Il y avait un prisonnier
boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos
Il y a des
hommes dans le monde qui n'ont jamais été à la guerre
Il y a des
Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales
Ils pensent avec
mélancolie à ceux dont ils se demandent s'ils les reverront
Car on a poussé
très loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité
Guillaume Apollinaire(1880 – 1918)